Le TELL du 09/03/1921

Les Sports d’Hiver en Algérie 

LE SKI AU COL DE CHRÉA

La neige à Alger, voilà qui peut déconcerter tous ceux pour qui les seuls mots d'Afrique du Nord évoquent une terre pourpre aux jardins éclatants, d'une immuable verdure à la flore perpétuellement renouvelée entre la Méditerranée toujours bleue et les sables toujours dorés. Eh ! bien ! que votre étonnement redouble en songeant qu'après avoir éprouvé a Alger tout le charme prenant d'une grande station marine, immaculée entre une mer sans rides et un impeccable azur, il vous suffit de quitter son  golfe arcadien et de prendre pour Blida un de ses autobus confortables pour vous trouver bientôt à quelques lieues de sa baie admirable dans le site le plus alpin que puissent rêver nos hiverneurs épris de tobogan, de traineau et de ski. 

Nous sommes pour pourtant   en Algérie.         On croit rêver en retrouvant sous le ciel africain la neige des Apennins et des Alpes françaises. C'est un petit Chamonix que cette station de Chréa où quelques fervents des sports d'hiver ont organisé toute  une installation, avec sou refuge, son hôtellerie, ses cuisines. Là. chaudement vêtu, on peut retrouver les émotions de la Suisse ou de l'Alaska. On peut vivre quelques jours, dans l'atmosphère réelle d'un scénario américain. C'est bien de la neige que l'on foule, et — chose plus savoureuse encore — (de  la neige africaine avec, sur elle, des chatoiements imprévus, de la couleur, le bariolage du soleil qui semble éprouver de la joie à répandre, comme un génial pastelliste, ses nuances mauves ou roses, ou violettes ou bleues ou orangées et pourpres sur 

ce blanc de fourrure, sur cette poussière fondante, lumière congelée, soleil frigorifié. Nous avions, jusqu'à ce jour, abandonné la neige en Algérie, au silence des solitudes. Par un curieux préjugé, il nous semblait que nous ne pouvions décemment, sans faire mentir les images et les affiches, avouer que cette matière  rare saupoudrait aussi une terre où les orangers, les citronniers, les aloès, le bougainville, 

la bignonne et le palmier, le plumbago et le grenadier, l'araucaria et l'eucalyptus avaient seuls le droit d'être reconnus, louanges, célèbres.... 

Parler de la neige ? sacrilège. Oser dénoncer la présence de cette indésirable à peine tolérée en terre africaine ? Quelle audace ! Nous ne partageons pas, fort heureusement, cette manière de voir, et c'est avec une vive satisfaction que nous avons appris qu'un groupe f

fort intéressant de notabilités algériennes se décidait à créer en Algérie un mouvement sportif hivernal. 

Le col de Chréa prête merveilleusement aux premières manifestations de cette société hardie son décor magnifique, situé à quelques kilométres à peine de notre grande station méditerranéenne qu'est Alger. On y pratique les sports les plus nouveaux, les plus actuels, les plus à la mode, et, parmi ceux-ci, la ski qui est bien le plus amusant des sports d'hiver’. Une fois chaussé de ces longues palettes qui, lorsque vous cheminez appuyé sur votre tuteur, vous font ressembler à l'albatros baudelérien que ses ailes géantes empêchent de marcher, laissez vous aller à la glissade et accélérez d'un point nerveux votre vitesse, vous goûterez alors un infini plaisir, celui de vous sentir des ailes et de vivre dans un vertige d'air glacé, de lumière et de blancheur. Rien n'est plus salubre, rien n'est plus vivifiant. Tel est le jeu divin auquel se sont livrés, le 23 janvier dernier, au col de Chréa, quelques notabilités algéroises et blidennes, parmi lesquelles ont été remarqués M. André Godin, le notaire bien connu de Blida, et sa famille ; Mr Escriva. avocat à la Cour; M. Sider, avoué ; M. Goutebaron fils, avocat à la Cour ; M.Lagier, trésorier du Ski-Club ; M. Jung, docteur à Alger ; M. Thisse, avoué à Blida, etc., etc. Nous ne pouvons qu'applaudir à l'initiative de tous ceux dont le but est de mieux faire connaître et apprécier l'Algérie sous ses aspects si nouveaux et si captivants dans leur innombrable variété. 

Julien SOREL