ECOLE BONNIER

I/ Les bâtiments.

 

Au frontispice à arcades de l'édifice, le soleil matinal caresse une inscription en carreaux de céramique "1915 - ECOLE PRIMAIRE DE GARÇONS - 1916". Au-delà du boulevard Bonnier, complanté de platanes, où les élèves jouent aux billes, au "sfolet" ou bien aux noyaux en attendant la rentrée, par-delà le parc à fourrage, la piscine "Adjudant-chef Fouchet",le stade Duruy et le quartier d'artillerie "Salignac-Fénelon", la façade de l'établissement contemple vers le sud la chaîne de l'Atlas blidéen et le bleu cendré des cèdres de Chréa.

L'arcature du rez-de-chaussée soutient la galerie à balustres de l'étage couronnée d'une élégante frise florale en céramique. Je laisse à Monsieur Paul Schläppi, dont j'ai sollicité les souvenirs, et qui fut l'un des "piliers" de cette école, le soin de vous la décrire dans le détail.

Elle se composait d'une grande bâtisse de trente à trente-cinq mètres de long, bornée à ses deux extrémités  par deux courtes constructions qui n'en altéraient pas l'harmonie; ce bâtiment était surmonté d'un étage qui comportait en son centre une superstructure surélevée supportant en son milieu le drapeau tricolore.

"Sur le rez-de-chaussée, protégé par une galerie couverte -précieuse les jours de mauvais temps-, s'ouvraient neuf classes primaires, du cours préparatoire au cours supérieur. La petite construction de droite abritait le bureau du Directeur, la loge des concierges et un minuscule jardinet. Celle de gauche était occupée par la bibliothèque pédagogique et les commodités terminaient cette partie ouest.

"L'étage était occupé par les appartements des instituteurs. Au-dessus de la bibliothèque s'ouvraient deux classes du Cours Complémentaire, domaine réservé de MM. PAILHE et ROBERTO. Le chauffage des classes n'existait pas ets surtout les petits, pour résister au froid de l'hiver, battaient le carrelage au son des tables de multiplication ou d'un texte de récitation.

"Sur le devant du bâtiment,une belle et grande cour cimentée, plantée d'une douzaine de robiniers, nous procura bien des soucis en raison des accidents qui s'y produisirent",

Le développement de la population entraîna la transformation du Cours Complémentaire en Collège d'Enseignement général et grâce à l'action du Conseil des Parents présidé par M.Armand FERRONE, deux classes supplémentaires furent construites au-dessus de la Bibliothèque. Les nouveaux locaux furent -parcimonieusement - chauffés au gaz et l'on installa des poëles à bois dans les autres classes.

 

 

 

II/ Les " Maîtres "

 

De 1916 à 1963, l'école primaire de garçons du boulevard Bonnier et son Cours Complémentaire devenu C.E.G. ont été un remarquable exemple de l'oeuvre éducatrice de la France en Algérie.

Sous la direction de M. GIANCARLI d'abord puis de M. PAILHE, qui fut l'âme de cet établissement durant de nombreuses années avant de quitter Blida pour la direction de l'école de la rue Clauzel à Alger, sous celle de M.COULON puis de Mme SIRE aux heures sombres de la guerre de 1939 à 1945, sous celle, ensuite, de M.ARNAUD Georges puis de M.GENDRE, et enfin celle de M.SCHLAPPI, cette école, chère à beaucoup de blidéens, même s'ils ont ensuite poursuivi leurs études au Collège colonial de Blida devenu Lycée Duveyrier, a eu un rayonnement énorme dû à la compétence et au sérieux de ses "maîtres". Elle a formé des générations de jeunes avec des méthodes qui peuvent paraître un peu sévères à notre époque, mais leur réussite fut incontestable. Sous la direction de Paul Schlappi, l'école Bonnier fut, dans toute la Mitidja, la seule à demeurer française en 1962-63. Laissons-lui la parole à nouveau pour évoquer le souvenir de ses collègues:

"Nommé en 1936 à Bonnier, après avoir sévi au Collège colonial alors dirigé par M.JACQUIN, j'ai côtoyé des enseigants dignes de ce "titre d'honneur" Mme et M.CLOTARD, M.GAUTHIER devenu Inspecteur départemental, M. ROBERTO "muté pour raison politique", pendant la guerre, de Blida à Baba Bassen avec une épouse malade. Il fut grièvement blessé en se rendant à son travail, revint à Blida grâce aux efforts du Docteur LAUPRETRE qui s'occupait de sa famille, et mourut en pleine classe d'une congestion cérébrale;  MMes REYNAUD et SAVALL, ASENCI au CM1 et au CM2 Pierre ZEMORI devenu Inspecteur départemental {Mathieu MASINI en charge de la classe préparant au Certificat d'Etudes, devenu plus tard Directeur de l'école Jules Ferry et Schläppi qui,après le Cours Supérieur 2ème année -quelle belle classe hélas! aujourd'hui disparue- enseigna les mathématiques au Cours Complémentaire devenu par la suite Collège. André FINATEU, successeur de M.ROBERTO, puis M.GROSLAMBERT y enseignaient le français. Pierre ZEMORI et M.BROCARD,devenu lui aussi Inspecteur départemental, étaient spécialisés en Mathématiques et Sciences. Mme BLOGET enseignait l'anglais, M.SACI, l'arabe et M.DESCHAMPS l'Education physique."

 

III/ "Bonnier" pendant le deuxième conflit mondial

 

La fin de l'année 1939 vit le départ des instituteurs mobilisés, puis leur retour après la défaite de 1940. Après le débarquement des Alliés, le 8 novembre 1942, la campagne de Tunisie provoqua une nouvelle hémorragie de personnel.

En attendant, des institutrices à la retraite (Mmes SUZZARINI et TILLET) reprenaient du service avec des classes surchargées (entre 50 et 60 élèves) qui auraient donné des sueurs froides à plus d'un jeune maître.

Ainsi, lorsque j'entrai au CP,en octobre 1939, Mme TILLET,qui avait largement la soixantaine "supportait" une promotion de 54 élèves dont René ARAGON, Claude BONNEIL-MAS, Bernard RHAlS et moi-même. (A titre comparatif, l'effectif maximum autorisé par classe est de 25 élèves.)  L'année suivant le CE1 de Mme MOUJIKA comptait encore 52 élèves. Mme SAVALL dirigeait le CE 2 et, au CM 1, M.ASENCI, mobilisé, était remplacé par une excellente institutrice repliée de l'Isère ou de Savoie: Mme LEYSSIEUX. Mme REYNAUD avait en charge,à cette époque, le CM 2 où l'on présentait un examen nouveau: le D.E.P.P. (Diplôme d'études primaires préparatoires) et,bien entendu l'examen d'entrée en sixième. Ceux qui passaient au Cours Supérieur 1ère année connaissaient Mme SIRE, remplaçant M.MASINI mobilisé. Enfin ,le Cours Supérieur 2ème année était la "chasse gardée" de M.Schläppi, mais il fut mobilisé lui aussi.

Pour les élèves, la période de guerre se traduisait par un certain nombre de nouveautés. Il y avait tout d'abord, chaque matin,la cérémonie du "lever des couleurs". Autour d'un mât dressé au centre de la cour les classes rayonnaient en cercle. Un "clairon " des Tirailleurs lançait sa sonnerie militaire et le major de chaque classe, à tour de rôle, "envoyait les couleurs" en haut du mât. En fin de journée, la même cérémonie se déroulait pour redescendre le drapeau.

Autre événement inhabituel, Mme SOLER, notre brave concierge, diluait dans une grande lessiveuse le lait en poudre qui nous était destiné et le faisait chauffer. Nous buvions notre quart de lait - non sucré - assis autour des robiniers de la cour de récréation, chaque matin.

Enfin, les menaces d'attaques aériennes avaient conduit la municipalité à faire procéder au creusement de profondes tranchées aux abords de l'école et de l'EPS toute proche. Inutile de vous dire que ces tranchées devinrent le terrain de jeu favori des gamins du quartier malgré les mises en garde des parents et des enseignants. Chose curieuse, je n'ai pas le souvenir d'une seule jambe cassée pendant toute cette période où nous sautions allègrement d'un bord à l'autre de ces tranchées profondes de deux mètres. Nous nous y laissions glisser aussi, et, pour remonter, il nous fallait utiliser la méthode des alpinistes qui remontent à l'intérieur d'une "cheminée".

 

IV/Tableau d'honneur.   

 

Les institutrices et instituteurs de l'école Bonnier peuvent être fiers de leurs élèves. Il serait trop long d'énumérer tous ceux, tant Européens que Musulmans, dont la réussite a été brillante. Citer quelques-uns des médecins, ingénieurs, enseignants de tous ordres qu'ils ont contribué à former serait injuste pour les autres. Au-delà du cursus spectaculaire de certains, il faut constater que les anciens élèves, dans leur grande majorité, ont fait leur chemin dans la vie, malgré le cataclysme de 1962, grâce à leur volonté de "s'accrocher" comme le leur préconisaient leurs maîtres d'autrefois lorsqu'ils "séchaient" sur un problème ou une rédaction. !J'ajouterai simplement,pour terminer mon propos, qu'il existait un "esprit Bonnier" qui se traduit,lorsque des anciens élèves se rencontrent, par une certaine complicité teintée d'un rien de nostalgie dans le regard. C'est la raison pour laquelle, cinquante ans après on pense encore à Bonnier.

 

Pierre DEVESA