La Chiffa

Ces pages sont  composées avec  des documents fournis par  Mr Haillot Patrick.

Cyclone de 1898 à La Chiffa

A la suite du cyclone qui a frappé la commune de La Chiffa les 15 et 16 septembre 1898; le maire de la commune s'adresse au préfet pour lui demander une aide. Ces textes sont tirés de papiers anciens et ont été saisis pour une meilleure lecture.

 

RAPPORT CONCERNANT LE CYCLONE DU 14 NOVEMBRE 1898

     établi par le maire de la Chiffa, le 19 novembre 1898

Monsieur le Préfet Alger

Comme suite à ma dépêche du 15 courant, j’ai l’honneur de vous donner les renseignements suivants au sujet du cyclone qui s’est abattu sur notre Commune et qui a fortement éprouvé les habitants.

Le lundi 14, après midi, le temps était menaçant, vers les 5 H du soir, la pluie commença à tomber ; à 5 H ½  elle devient torrentielle, mêlée de vent et de grêle. Chacun était chez soi, lorsque tout à coup, vers les 6 H et au plus fort de la tourmente, les habitations sont envahies par les eaux pénétrant comme un torrent par les portes qui fléchissaient sous la poussée extérieure. Des cris de détresse partaient de toutes parts, mais impossibles aux voisins de se porter secours entre eux, la route nationale N°4 était non seulement submergée, mais encore à de certains endroits, l’eau atteignait 0m40 au-dessus du trottoir.

Ce cyclone dura environ d’une heure à une heure et demi puis l’écoulement se faisant rapidement, on pût se rendre approximativement compte de ce qui venait de se passer dans le village. Presque toutes les maisons ont été inondées et dans l’intérieur était restée une couche terreuse d’environ 0m15 ; toutes les caves remplies de cette eau bourbeuse, les habitants pour se protéger obligés de monter sur les tables, la lutte étant impossible. Des dégâts considérables étaient à prévoir, mais on craignait surtout des malheurs plus grands : on allait de maison en maison s’assurer qu’il ne manquait personne.

Mr Guasco était sorti de chez lui avant la tourmente, sa dame se trouva seule lorsque sa maison fût envahie par les eaux ; effrayée, elle voulut aller rejoindre son mari, mais l’obscurité était telle qu’il [lui était] impossible de se diriger (cette dame est d’un âge un peu avancé). Arrivée sur la route nationale, elle fut renversée par le torrent, entraînée et aurait infailliblement péri si Mme veuve Arestan, Receveur des postes et télégraphes, n’avait entendu ses cris. Le facteur Mercier, à peine rétabli de maladie, se trouvait au bureau, de service. Entendant les cris de détresse de son chef accourut et voyant la situation périlleuse de Mme Guasco n’hésita pas à se précipiter dans le courant et réussit à ramener la pauvre noyée sur le bord où Mme Arestan et sa famille lui prodiguèrent les premiers soins. Cette femme a été contusionnée sur toutes les parties du corps ;

Mme Olivier Nicolas, journalière était à son travail ayant laissé ses enfants à la maison, voulut traverser la route mais elle fut renversée et ne dût son salut qu’à sa présence d’esprit : le courant l’entraîna contre un arbre ; elle s’y accrocha et attendit que des secours lui fussent portés.

Le Ne (notaire ?) Dupont Eugène âgé d’environ 60 ans de passage à La Chiffa, voulut aussi traverser la route nationale, fut renversé et ce n’est que grâce au courage du sieur Amilhostre Marius qui d’ailleurs n’en est pas à son coup d’essai qu’il dût son salut.

Les exemples de dévouement sont si nombreux, que si je voulais les citer je me verrais obliger de citer toute la population ; aussi je ne désigne que les plus marquants ; toutefois je crois devoir vous signaler aussi Mr Maury, mon adjoint qui ayant appris mon absence momentanée s’est dévoué et s’est acquitté de son devoir et a prouvé qu’il était digne de la confiance que les électeurs de la Commune ont mis en lui.

Les dégâts sont considérables pour notre pauvre petite commune qui est sans ressources : la route nationale a subi de grands dégâts ; M Gay conducteur principal des Ponts et chaussées avec sa compétence habituelle, a pris des dispositions pour la remise en état ; le chemin de grande communication (embranchement 2)  a aussi été fortement éprouvé ; les chemins vicinaux ordinaires sont dans un état tel qu’il a fallu prendre des dispositions urgentes pour éviter de nouveaux malheurs. Notre place publique est ravinée ; les chemins ruraux rendus impraticables. Je me demande comment la Commune fera pour réparer, même légèrement, tous ces dégâts et j’ai recours à vous-même Monsieur le Préfet, pour vous prier d’intervenir auprès de Monsieur le Gouverneur Général, afin qu’il  veuille bien venir en aide d’urgence à notre pauvre Commune.

Les habitants n’ont pas été épargnés :

M. Prost Adolphe fermier de M. Bérard a eu un hangar de 11 m de long et un mur de clôture de 7 mètres renversé, brisant sous ses décombres une moissonneuse coûtant 1650f ; un porc a été noyé et ce n’est que grâce à l’aide de son frère, Jules, et de quelques ouvriers qui par hasard se trouvaient à la ferme, qu’il a pu sauver son bétail. Dans la cour de cette ferme, l’eau est arrivée de 1m25 à 1m30 de hauteur.

M. Charaud aidé de son fermier Parra Vincent, n’a réussi à sauver son troupeau qu’en perçant un mur d’écurie où l’eau dépassait déjà un mètre.

M. Secondy fermier de Mme Vve Houbé près de la gare a eu sa cave envahie par les eaux et le bâtiment de la distillerie appartenant à sa propriété, menace ruine.

La voie ferrée a été submergée et ce n’est que grâce au dévouement sans borne de Mr le chef de gare de remplacement et du jeune Poujol homme d’équipe que de grands malheurs ont été évités ; la voie était recouverte de 1m20 d’eau ; la machine faisant train de marchandises a eu les feux éteints par l’eau qui l’avait envahie et ce train est resté en détresse.

Dans le village les pertes sont aussi sérieuses. Je ne citerai que quelques exemples :

Mr Marquès, Christophe avait en compte ½ [?] avec son fermier Colonna, Raymond 6 balles de tabac pesant environ 750 kilos prêtes à être livrées à l’administration le 16 courant dès l’ouverture ; toutes ces balles ont nagé et il n’a pu, en bien triant, en sauver la valeur d’une balle, qu’il a livrée à l’administration ; tout le reste est perdu. En outre, une partie de ses semailles ont été submergées, un baquet de linge enlevé, le linge a disparu et le baquet a été retrouvé plein d’eau à environ 600m de chez lui.

Mr Poquette, épicier (mon locataire) avait des marchandises d’approvisionnements dans un magasin et dans sa cave ; la majeure partie est perdue, on ignore exactement le montant de la perte, mais Mr Maury a constaté 1 boucaut de sucre en pain, des caisses de sucre scié, chicoré, savon ; ½ sac de cassonade, 1 bonbonne d’anisette et enfin d’autres objets complètement perdus. Mr Maury, notre adjoint a été obligé de faire percer un trou dans le mur pour faciliter l’écoulement des eaux.

M. Voiron J B avait conservé dans sa cave 12 bordelaises de vin provenant de la récolte de l’année, qui n’étaient pas bouchées à fond ont été submergées et tout ce liquide est perdu.

Moi même, une parcelle de mur qui se trouvait près d’un puits a été enlevé, le puits comblé et 2 chèvres y ont été entraînées ; quelques balles de tabac ont été mouillées ainsi que quelques sacs de blé de semence.

Enfin en un mot, tous ont été éprouvés pour leurs approvisionnements, indigènes comme européens, le désastre est d’autant plus terrible que la majeure partie de la population est ouvrière et vit au jour le jour.

Les terrains ensemencés ont été ravinés faisant subir aux propriétaires ou fermiers des pertes considérables. Travail, semence, tout est perdu et impossible de cultiver ces terres cette année, la terre végétale ayant été enlevée. Des vignes sont ravinées ; quelques unes ont souffert tellement que les racines sont à découvert et de certains pieds enlevés ; de jeunes vignes (plantations de 1897) qui ont eu à subir les écoulements des eaux, ont eu leurs tiges cassées. Je ne puis donner d’une façon très exacte le montant des dégâts, mais je ne crois pas être éloigné de la vérité en les évaluant à environ 100 000f.

La situation, Monsieur le Préfet, étant telle, je suis persuadé que vous n’hésiterez pas d’appeler la bienveillance du Gouverneur Général pour venir en aide à une Commune et à sa population, qui sous tous les rapports, était digne d’un meilleur sort ; des crédits seront demandés par l’Etat pour réparation de la route nationale ; par le département pour l’embranchement 2 ; la Commune sollicite-t-elle aussi une subvention et ses habitants demandent aide et protection au Gouvernement Général ; la bienveillance de Monsieur le Gouverneur Général me permet d’espérer que le cri d’appel des habitants de notre Commune sera entendu de lui.

Veuillez agréer, Monsieur le Préfet l’assurance de mes sentiments les plus dévoués

                                                                          Le maire de La Chiffa