Document original de 1865 mis à notre disposition par

le  Centre de  Documentation  Historique sur l'Algérie

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BLIDAH

Blidah, chef-lieu de sous-préfecture, est situé à l'extrémité sud de la plaine de la Mitidja, à 48 kilomètres d'Alger, sur la route de Médéah.

La commune de Blidah comprend quatre annexes : Joinville, Montpensier, Dalmatie et Béni-Méred. Sa population totale est de 11,563 habitants

L'origine de Blidah ne parait pas remonter à l'époque romaine. Aucune ruine, du moins ne le laisse supposer. Cette ville, très-peuplée du temps des Turcs, fut détruite en grande partie par le tremblement de terre de 1825. Elle commençait à se repeupler, en 1830, lorsque le maréchal de Bourmont essaya de s'en emparer. Attaquée de nouveau, vers la fin de 1830, par le maréchal Clausel, prise et évacuée ensuite par le duc de Rovigo et par le maréchal Valée, en 1834 et 1838, elle ne fut occupée définitivement qu'à partir de 1839.

Les orangeries de Blidah sont renommées ; elles occupent une superficie de 110 hectares, et comprennent plus de 35,000 pieds d'orangers ou de citronniers. Le territoire de Blidah est d'ailleurs très fertile. Toutes les cultures y réussissent parfaitement.

Blidah, qui est relié à Alger par un chemin de fer, et qui reçoit les produits de l'intérieur par Médéah, tend à devenir un centre de commerce important.

L'Empereur à Blidah.

 

Le 11 mai, à 9 heures et demie du matin, le train impérial, qui avait quitté Alger à 8 heures un quart, arrivait dans la gare de Blidah. Sa Majesté l'Empereur, accompagné de son état-major et d'une suite nombreuse, est aussitôt monté en voiture, et s'est dirigé vers la ville, où il a été reçu par M. Borély La Sapie, maire de Blidah, et par M. Ausone de Chancel, sous-préfet de l'arrondissement.

M. Borély La Sapie a prononcé le discours suivant, en présentant à l'Empereur les clefs de la ville de Blidah, que portait sur un beau coussin de velours un arabe aux traits fortement accentués :

« Sire,

« J'ai l'honneur d'offrir à Votre Majesté les clefs de la ville et de lui présenter le conseil municipal.

"Veuillez permettre, Sire, que je sois l'interprète des sentiments de la population, en disant que si le nouveau voyage de Votre Majesté en Algérie a réalisé nos plus chères espérances, la visite que daigne nous faire aujourd'hui notre Souverain, nous met au comble de la joie.

« Sire, la ville de Blidah espère être agréable à Votre Majesté en lui offrant l'exemple d'un heureux mélange de militaires, de colons et d'indigènes, vivant dans la plus parfaite harmonie et tous animés d'un égal amour pour leur Souverain.

"Votre Majesté, qui donne au monde l'exemple des grandes pensées et des œuvres généreuses, a voulu être le rédempteur des indigènes, et, par l'Algérie, essayer de ramener l'Orient à la civilisation. Cette noble pensée a. fait battre ici de fierté, le cœur des enfants de la France; ils sollicitent l'honneur de seconder, dans la mesure de leurs forces, les larges vues de Votre Majesté.

« Sire, croyez à, notre amour, croyez à notre dévouement ; mais, que dis-je? et ai-je encore à demander cela, puisque Votre Majesté daigne, pour être mieux des nôtres, devenir colon ?

« Que Votre Majesté nous permette d'espérer qu'en quittant l'Algérie, Elle emportera cette pensée, que, de ce côté de la Méditerranée, les Français n'ont rien perdu des sentiments généreux qui font la gloire de la mère patrie, et que le beau soleil d'Afrique, qui retrempe les courages, n'a fait que fortifier en eux les sentiments de reconnaissance pour le Souverain à qui la France doit son salut et sa grandeur.

« Quant à nous, Sire,  lorsque Votre Majesté quittera nos rivages, Elle nous laissera pleins de tristesse, mais aussi pleins  d'énergie et de confiance, puisque Votre  Majesté nous a dit d'avoir foi dans l'avenir, et c'est toujours du plus profond de nos cœurs que partiront ces vœux :

 

«   Vive l'Empereur!

«   Vive l'Impératrice !

«   Vive le Prince Impérial !

 

Après avoir adressé quelques paroles extrêmement bien-veillantes à M. le maire de Blidah, et répondu avec la même bonté à un autre discours prononcé par M. de Lhoys, président du tribunal civil, l'Empereur est entré dans la ville en passant sous la porte Bab-el-Sebt.

La décoration de cotte porte, transformée en arc de triomphe, offrait un heureux mélange d'armes étincelantes et de modestes instruments agricoles. Et comme Blidah, la reine de la Mitidja, est par excellence la ville des fleurs et des orangers, on avait eu la poétique pensée d'écrire, sur le fronton de l'arc de triomphe, le nom de l'Empereur avec les feuilles, les fleurs et le fruit de l'oranger : charmante idée, exécutée avec goût, et qui a fait dire au spirituel rédacteur du journal le Tell, que désormais le nom de l'Empereur appartient à l'Algérie comme à la France, puisqu'il a été écrit, dans les divers localités visitées par Sa Majesté, en fleurs, en fruits et en toutes espèces de produits du pays. " Scipion, ajoute-t-il, mérita le surnom d'Africain, Napoléon III est digne de porter celui  d'Algérien (1). »

Le même goût, la même pensée avait présidé aux décorations de l'intérieur de la ville. Toutes les rues étaient ornées de trophées, d'oriflammes et de fleurs. L'Empereur conservait ainsi le souvenir des magnifiques orangeries qui l'avaient si agréablement surpris quand il avait traversé ces délicieuses forêts qui entourent la ville d'une ceinture parfumée. Aussi, en lisant les mots : « Napoléon III, premier colon de l'Algérie, » sur un écusson qui décorait une maison de la place d'armes, Sa Majesté dut se dire que ce titre n'était pas à dédaigner, et que les colons qui habitaient une pareille ville n'étaient pas à plaindre.

L'Empereur s'est rendu à l'église Saint-Charles. M. le curé de Blidah, assisté d'un nombreux clergé, venu des environs, l'a reçu sur le perron autour duquel étaient groupés, sur la place, les enfants des deux sexes des Ecoles chrétiennes.

M. le curé a adressé à l'Empereur l'allocution suivante :

"Sire,

« Le clergé du canton de Blidah s'associe à la joie qu'a fait naître dans le cœur de nos populations, l'heureux événement de l'arrivée de Votre Majesté en Algérie : il s'y associe à un double titre, car, à l'expression du plus respectueux des hommages, il ajoute celle de la  plus profonde reconnaissance.

« C'est à vous, Sire, c'est à votre Gouvernement, que Blidah doit cette basilique, le plus bel ornement de notre cité, et le témoignage éclatant de Votre haute sollicitude pour les intérêts de la religion.

« Sire, que le Très-Haut, auquel nous ne cessons d'adresser, pour la conservation de Votre Majesté, et celle de Son Auguste famille, les plus ardentes prières, écoute la voix de nos cœurs, et bénisse ce voyage qui restera éternellement gravé dans notre souvenir. »

Après le chant du Domine salvum fac Imper atorem, et au moment où l'Empereur quittait l'église, qu'il a trouvée spacieuse et belle, une jeune demoiselle, élève des sœurs de la Doctrine chrétienne, s'est approchée de Sa Majesté, et lui a adressé ce petit compliment :

 

Souverain, père, époux, soyez trois fois heureux,

Sire ! que le Seigneur vous aide en toutes choses !

Et pour celle avec qui vous partagez nos vœux,

Prenez ce souvenir de la ville des roses.

 

Et tout en tremblant, tout en rougissant, l'aimable complimenteuse offre à Sa Majesté un splendide bouquet de fleurs, et deux magnifiques corbeilles de belles oranges à l'adresse de l'Impératrice. L'Empereur, visiblement ému, a remercié la charmante enfant pour laquelle il a eu des paroles de père, et a bien recommandé les oranges qui venaient de lui être offertes, ajoutant qu'il  tenait à les faire parvenirà leur destination.

S'adressant ensuite à la sœur supérieure   il a demandé combien d'élèves elle possédait dans son école. -400, Sire, a répondu sœur Paul.  Sa Majesté a remarqué la santé florissante de tous ces enfants, s'informant si la ville avait toujours été dans ces mêmes conditions de salubrité.

L'Empereur a visité en dernier lieu le dépôt de remonte où il a été reçu par M. le général Morris. Sa Majesté a admiré les magnifiques animaux qui se trouvent dans cet établissement de premier ordre.

Quelques instants après, Elle remontait en voiture non sans avoir été impatientée par la foule des arabes qui se précipitaient pour lui embrasser les mains et pour lui remettre de nombreuses pétitions. On a eu de la peine à les écarter, car les arabes sont très tenaces et peu cérémonieux, surtout quand ils voient un bienfait au bout de leur opiniâtreté.

Avant de quitter Blidah, Sa Majesté a serré la main de M. le Maire en le remerciant du bon accueil qui lui a été fait parla population.

« Je vous prie de dire aux habitants de Blidah, monsieur le « Maire, combien j'ai été satisfait de leur réception, » a dit l'Empereur en partant, et après avoir déposé, entre les mains de M. Borély, une somme de 1,000 fr. pour le bureau de bienfaisance et la Société de secours mutuels.

Pendant son séjour à Blidah, l'Empereur s'est entretenu plusieurs fois avec M. le maire de cette ville, et avec M. Ausone de Chancel, sous-préfet de l'arrondissement (2). Sa Majesté, toujours si bienveillante  et si affectueuse, a été  d'une bonté parfaite pour M.Chancel; Elle lui a parlé d'ouvrages qu'il a publié. "Je llis particulièrement avec beaucoup d'intérêt, lui a dit Sa Majesté celle  de vos publications qui traite de l'émigration des noirs d'Afrique. »

 

 

(1) Voir, dans le journal le Tell, publié à Blidah, Particulièrement celui  du 13 mai 1865, signé: Philibert Blache»

(2) M. Ausone de Chancel, qui administre depuis ; plusieurs années avec distinction, l'arrondissement de Blidah, est un ancien  Algérien. Nous nous rappelons avoir entendu, à une époque ,déjà éloignée, un  charmant poème que lui avait inspiré ce beau pays qu'on ne peut s'empêcher d'aimer et d'admirer. Depuis lors, M. Ausone de Chancel s'est fait un nom dans la littérature.  Son Livre des Blondes a été beaucoup lu. Le dernier ouvrage qu'il a publié et qui lui a valu les félicitations  de l'Empereur, est intitulé : Cham et Japhet

 

L'Empereur à Médéah.

Il était près de  midi quand l'Empereur a quitté  Blidah, pour se rendre à Médéah,

La route parcourue par l'Empereur est peut-être la plus remarquable qui existe en Algérie, où pourtant l'imprévu et le pittoresque, les accidents de terrain et les points de vue abondent, et font l'objet de l'admiration des touristes les plus difficiles. C'est, d'abord, la magnifique plaine de la Mitidja, avec sa luxuriante végétation ; puis, viennent les riches vergers de l'Oued-el-Kébir, et enfin les gorges de la Chiffa. Si, avant de pénétrer dans ces gorges profondes, on se retourne vers le point de départ, les yeux éblouis s'arrêtent sur le tableau magique de la Mitidja, des longues collines du Saliel et de la mer qui se montre par la coupure du Mazafran.

C'est dans ce site admirable, connu sous le nom singulier de : Ruisseau des singes, que l'Empereur et sa suite ont fait halte pour déjeuner. Puis le cortège impérial est entré dans la Gorge de la Chiffa, qui est bien, comme le dit M. Piesse, dans son Itinéraire : " une des merveilles de l'Algérie. "

Dans une coupure à pic de cinq lieues de long, la route a été conquise tantôt sur le rocher qui la surplombe de 100 mètres, et. que la mine a dompté, tantôt sur le torrent qui lui cède une partie de son lit. Cette œuvre gigantesque, accomplie par nos troupes, sous la direction du génie militaire, fait le plus grand honneur à l'armée d'Afrique. « Depuis les légions romaines, qui maniaient la pioche aussi bien que l'épée, a dit avec beaucoup d'à propos M. le colonel Ribourt, nulle armée au monde n'a accompli autant de travail, ni tant fait pour livrer un grand pays à la culture et à la civilisation.» « II faut qu'on sache, ajoutait-il, — et nous sommes heureux de le redire après lui, car nous aimons à rendre hommage au dévouement de notre glorieuse armée, — il faut qu'on sache que lorsque, nos soldats ne se battaient point, ils travaillaient ; et que chaque année, durant sept mois, cinquante ou soixante mille hommes étaient échelonnés au travers de la contrée pour ouvrir des routes, dessécher les marais, combler les fondrières, abaisser les montagnes, faire des ponts, des barrages, bâtir dans les tribus des maisons de commandement, sur les chemins des caravansérails, et créer, dans le désert, des oasis nouvelles. »

L'Empereur, en parcourant cette magnifique route, a dû être fier de son armée d'Afrique, qui a su faire de si grandes choses pendant les loisirs de la paix, ou entre deux expéditions.

A quatre heures environ, Sa Majesté arrivait à Médéah, où Elle était reçue avec cet enthousiasme chaleureux qu'elle a rencontré partout, mais dont l'expression est devenue plus énergique et plus sincère au fur et à mesure que sa bienveillante sollicitude pour les colons a été plus connue.

M. Dubois, ancien officier supérieur, et maire de Médéah, s'est approché de l'Empereur, et a prononcé le discours suivant :

« Sire,

« J'ai l'honneur de déposer aux pieds de Votre Majesté, les clefs de la ville de Médéah. <n Premier magistrat de la cité, je viens à la tête de la municipalité et au nom de la population, saluer en Vous, Sire l'élu de la Franco et le  maître des destinées do notre belle colonie.

« Grâce aux bienfaits que vous n'avez cessé de répandre sur notre chère patrie, dès l'instant où, par la volonté nationale, Vous êtes arrivé au pouvoir suprême, la sécurité de l'avenir que nous n'avions guère connue que sous l'égide de Votre illustre oncle, le plus grand des grands hommes de l'antiquité et des temps modernes, est aussitôt rentrée dans nos esprits ; la confiance, toujours indispensable dans les transactions commerciales, s'est rétablie, et, à part quelques souffrances que nous cherchons toujours à atténuer et à soulager dans la mesure de nos forces, nous avons éprouvé dès lors un bien-être et une tranquillité dont nous avions été privés pendant de si longues années.

« Poursuivez donc glorieusement la noble et lourde tâche que la Providence Vous a imposée et que Vous accomplissez avec tant d'éclat, de courage et d'énergie, et soyez certain, Sire, que la page que vous réserve l'histoire, ne sera qu'une longue suite des prodiges opérés par le fondateur de Votre dynastie.

« Votre présence sur cette terre d'Afrique, est pour nous une preuve éclatante de la sollicitude que vous étendez sur toutes les parties de Votre vaste empire, et je suis heureux, Sire, d'être l'organe de la reconnaissance de toute cette population qui Vous entoure, et qui voit en votre présence un gage certain d'avenir et de prospérité pour son pays d'adoption.

« Entrez dans nos murs, Sire, et Vous y recevrez de toute la population, tant chrétienne que musulmane et israélite, un accueil enthousiaste, les bénédictions qui Vous sont dues et la preuve de son dévouement à Votre auguste personne, à l'Impératrice et à notre bien-aimé le Prince Impérial. »

En traversant la place Napoléon et la place d'Armes, coquettement décorées, l'Empereur fut agréablement surpris de l'animation et de la gaieté qui régnaient dans cette ville en quelque sorte perdue dans les montagnes. Chaque maison, chaque fenêtre était ornée de drapeaux et de banderolles aux couleurs variées. Là où les drapeaux avaient manqué, les habitants y avaient suppléé en recouvrant la façade de leurs maisons avec ces riches tentures, ces brillantes étoffes en soie, en damas et en brocard, qui entrent dans la composition du vêtement des femmes indigènes.

Parmi les discours adressés à l'Empereur, nous avons remarqué , et nous signalons celui de la communauté Israélite de Médéah. Le délégué de cette communauté s'est exprimé en ces termes :

« Sire,

« La communauté Israélite de Médéah ne vient point au devant de Votre Majesté pour la prier de croire à sa fidélité à la France.

« Ne pas être dévoués à cette France dont le drapeau dans ces contrées, a été le signal d'abolition de notre servitude, cela nous serait impossible, nous serions frappés de démence.

« C'est comme membres participants aux progrès de la colonisation, c'est comme peuple lié par nos intérêts communs par des aspirations communes avec les Français, devenus Algériens, que nous venons, en la saluant de nos respects et de notre amour, remercier votre Glorieuse Majesté de la sollicitude qu'attesté sa visite dans nos montagnes. »

Le lendemain, 12 mai, l'Empereur rentrait à Alger.