LE PALMIER

LE KIOSQUE

ET LE MARABOUT

 


En dix-huit cent vingt-cinq, la  place des Mûriers
Somnolait au soleil, veillant sur le repos
Du très saint personnage inhumé en son centre.
D'un tremblement de terre elle fut l'épicentre :
BLIDA, la dissolue, vit ruiner ses tripots.
Militaires ou civils, colons aventuriers,
Quelques années plus tard, les Français arrivèrent,
Du gisant vénérable avivant la colère.

La place des Mûriers devint la place d'Armes.
Au milieu, sans respect, on planta un palmier
Entouré de fontaines : le sage en eut des larmes.
Ce triste coup du sort n'était que le premier :
Une année, en juin, quel tonnerre en ce lieu !
D'affreux profanateurs se groupant au milieu,
Se mirent à tournoyer dans des flots de musique,
Provoquant à jamais l'ire maraboutique.


Et la malédiction s'abattit, terrifiante :
"Tous les ans, il pleuvra aux fêtes de BLIDA !"
Depuis lors, chaque année, une ondée préluda
Aux trois journées de liesse triomphante
Drainant la Mitidja de tout son peuple heureux.
L'histoire continue ! Dans sa tombe, à l'étroit,
Ne s'avisa-t-on pas vers l'an mil neuf cent trois
De troubler le sommeil du défunt bienheureux ?


Autour du grand palmier un kiosque fut construit
Pour embellir les fêtes orchestrées tous les ans.
Son bois se dégradant, alors il fut détruit,
Aussitôt remplacé, l'année dix-neuf cent huit,
Par un autre édifice, disparu aujourd'hui,
En bois également, mais d'aspect plus plaisant.
Et en dix-neuf cent treize, ce fut l'apothéose :
Le kiosque dernier-né était vraiment grandiose !

De TUNIS à CASA, en passant par ALGER,
Son renom fut énorme et même à l'étranger,
Faisant connaître à tous notre Ville des Roses
Et ses superbes fêtes où le bonheur explose.
Mais en quarante-sept, le marabout furieux
D'un coup de sirocco étêta le dattier.
Le kiosque sans palmier attira les curieux.
Les Blidéens, têtus, replantèrent un " cocose "
Déjà majestueux, avec un port altier.
Le santon dépité en eut l'humeur morose.

Puis l'exode a chassé notre peuple un matin...
La danse évanouie et les lampions éteints,
Le religieux vieillard a retrouvé la paix.
Son esprit assoupi dans un silence épais
Regrette le bon temps et ses réjouissances,
Les flonflons de l'orchestre indiquant la cadence.
Mais dans leur solitude, ils sont toujours debout,
Le kiosque et le palmier veillant le marabout.


Pierre DEVESA - Juin 1987