SOUVENIRS BLIDEENS

 

La “Blidéenne” 

 

Beaucoup de nos concitoyens sont intrigués par cette dénomination du coquet pavillon entouré de jardins fleuris qui borde le Boulevard Trumelet et abrite la jolie salle d’honneur du 1er Tirailleurs. Les bâtiments furent spécialement construits en 1876 pour une « Ecole régionale de tir » qui fonctionna pendant environ huit ans ; elle fut supprimée vers 1885. Cette écola réunissait pendant une année, une centaine d'officiers des grades de capitaine et de lieutenant des différents régiments d'infanterie du 19 e Corps d’Armée ; ceux-ci donnaient à la ville une très grande animation.

Son premier directeur fut le chef de bitaillon Denieuport, dont le fils, tous le nom tronqué de Nieuport, fut plus tard un aviateur et constructeur d'avions célèbre. Le commandant Denieuport, qui était un officier très distingué, avait une pointe d'originalité; c'est ainsi que, petit de taille, il se promenait monté sur une immense jument alezane de race française, suivi d'un chien lévrier sur le dos duquel était juché un singe qui s'agrippait de ses quatre mains à une petite selle ; l'impitoyable jeunesse trouvait, irrespectueusement, que les deux silhouette qui se profilaient dans la campagne avaient de semblables contours...

Ce fut la création de l'« Ecole régionale de tir qui amena celle de l'Hôtel Géronde, nom de son propriétaire ; presque tous les officiers de l'école y logeaient et y prenaient leurs repas. A sa suppression, les locaux de l’école restèrent quelque temps sans affectation ; la cour ouest était utilisée par les officiers de la garnison pour le jeu de croquet qui était très eu vogue à cette époque. En 1886, une société de gymnastique nouvellement organisée sons la dénomination de « La Blidéenne » obtint la location de ces locaux avec un bail de 12 ans ; ils subirent une transformation ad hoc ; une épaisse couche de sable remplaça le carrelage de la grande salle centrale et des agrés y furent installés Lee officiers continuèrent, par entente verbale avec le président, à utiliser la cour pour leur croquet, mais à la suite d’une délibération du conseil d'administration de « La Blidéenne », ils furent priés de chercher ailleurs un emplacement ; leur jeu fut transféré dans la cour des magasins militaires à orge. « La Blidéenne » prospéra, mais lorsque le bail expira en 1897, il ne fut pas renouvelé, l’extension du casernement du 1er Tirailleurs étant envisagé ; à son tour elle eut à chercher un autre emplacement. Un moment dissoute, cette société se reforma sous le nom de " Blida- Gymnaste  et elle devint sous la présidence du regretté M. Guisoni une des plus belles sociétés de gymnastique de la colonie. Le colonel Menestrel obtint du Corps d’Armée l’adjonction de ce coquet pavillon et de ses dépendances au casernement du 1er Tirailleurs et y fit transférer la salle d'honneur, la bibliothèque, le bureau du colonel et du major et la salle d’armes des officiers. 

 A ce moment, les affaires de Fachoda avaient amené à Blida, un bataillon d'infanterie du Midi dans lequel se trouvaient deux artistes stucateurs de grand talent. Passés au 1*' Tirailleurs, ils furent envoyés à Alger  ils relevèrent, au Palais d Eté du Gouverneur Général, à la Première Présidence de la Cour d’Appel et à l'Archevêché les plus belles moulures orientales qui s’y trouvent et sous l’impulsion du colonel Menestrel et de son dévoué adjudant-major, le Capitaine Godiot, elles furent appliquées au plafond et sur les murs de cette salle d’honneur qui, par cette ravissante décoration orientale, fait l'admiration de tous les visiteurs. Cette salle renferme des souvenirs inestimables des grandes guerres et des guerres coloniales auxquelles ce brillant régiment a participé et je ne connais en souvenirs glorieux que la salle d honneur du ler Etranger et du 1er Zouaves qui puissent rivaliser avec elle. Des personnalités de marque l'ont visité. entre autre, en 1905 le roi Georges d'Angleterre et la reine Alexandra  en 1907, la princesse Béarlx de Battenberg, mère de la reine d Espagne, et le prince Alexandre : en 1909, la duchesse et le duc deConnaught qui envoya au 1" Tirailleurs son portrait avec une dédicace, etc., etc. M. Loubet. Président de la République. lors de son voyage en Algérie, en mai 1903, y fit une longue station ; il avait près de lui le distingué colonel Reibell, de sa maison militaire, ancien officier du 1*' Tirailleurs et ancien membre de la missionFonreau-Lamy, aujourd'hui général. M. Loubet avait promis au ler Tirailleurs un souvenir pour sa salle d honneur et le colonel Reibell avait laissé espérer que ce don serait un tableau de bataille à laquelle le régiment avait participé ; les dimensions mêmes du tableau furent ultérieurement communiquées ; si bien qu’un cadre en stuc fut aménagé au milieu du mur principal, afin de permettre de l'y encastrer à sa venue. Le souvenir promis arriva, mais par suite de je ne sais quel contretemps. au lieu d'un tableau de bataille ce fut... une pacifique coupe de Sèvres, très belle œuvre d art, mais qui parait quelque peu gênée en compagnie des objets guerriers qui l'entourent. Fallait-il supprimer le cadre en stuc ? On décida de le laisser en le remplissant avec une mosaïque ; et c'est ainsi qu'il subsiste, en attendant la venue d'un chef d’Etat qui, par conséquence, amènera, nous l'espérons, celle du tableau de guerre tant attendu. Cette belle salle d’honneur qui vient d'étre restaurée par les soins du colonel Lachèvre mériterait l'être beaucoup plus visitée qu'elle ne l'est par les touristes qui passent par Blida. Quant à son nom de « La Blidéenne » il est devenu aujourd’hui officiel dans tous les actes du l'erTirailleurs et nous ne croyons pas qu'il soit près de disparaître

Commandant Rocas.

Le Tell du 4/5/1927