Lucienne Grâce Georges est membre d'honneur de la Société des Poètes Français. Prix de la Promotion Poètique 1992. Elle fut pendant de longues années et jusqu'en 2007, déléguée des Poètes Français pour la Bretagne Sud et les Pays de la Loire et elle reçut par deux fois une médaille d'or. |
DE PLUIE ET DE SOLEIL
Que les écrivains gardent l'espoir de retrouver les secrets d'un art universel, qui à force d'humilité et de maîtrise ressusciterait enfin les personnages dans leur chair et dans leur durée. Albert Camus
|
A tous ceux de mes amis et ils sont nombreux qui, sans être nommés se reconnaîtront Lucienne Grâce Georges |
|
DE PLUIE ET DE SOLEIL Avant-Poèmes Parler de Lucienne-Grâce Georges, c'est avec force éloges dresser une liste d'activité et de créativité dans le domaine des Beaux-Arts et des Belles-Lettres, l'Altruisme et le Social. Toute jeune elle fut attirée par la scène et interpréta dans son pays d'alors, les meilleurs auteurs du répertoire. Elle se tourna vers la céramique d'art et fut remarquée pour ses créations originales. De nature énergique, entreprenante, elle crée et façonne, compose, assure des récitals, organise des concours, dirige dans sa belle demeure d'Orvault, une galerie de peinture, donne des conférences, des émissions radiophoniques, écrit pour plusieurs journaux. Son action en faveur des déshérités lui vaut la croix de Chevalier dans l'Ordre National du Mérite en 1976. En tout ce que fait et entreprend Lucienne-Grâce Georges, il y a de l'âme, de la poésie et le nouveau recueil que voici en est empli, comme en débordaient ses ouvrages précédents : « C'était notre terre » (1964), « L'Orange amère » (1968), «La vie de notre amour » (1973), « Comme le tournesol » (1976), « Le bonheur d'être » (1981), « A fleur d'écorce » (1984), « Et le coq chanta » (1987), « Le petit livre de Grâce » (1996). On dit que Lucienne-Grâce Georges n'est pas un poète à l'eau de rose, ce n'est pas non plus et elle s'en défend, une férue d'intellectualisme ; son engagement dans le combat des idées est avant tout un cri du cœur, une révolte contre toutes les injustices et cela explique l'émotion qui se dégage des mots les plus forts. Présenté au public en même temps que « Offrande », « De pluie et de soleil » se veut un recueil de ton nouveau, respectueux des contraintes de la prosodie traditionnelle et cela surprendra ceux qui savent que le poète aime à écrire en vers libres. A-t-elle fait un bon choix ? Peut-être regrettera-t-on le souffle qui soulevait la violence de ses sentiments meurtris par la guerre et les deuils. On y trouvera un ton de sereine tendresse pour les êtres et les choses. Le titre symbole du recueil évoque la terre entre deux averses, réchauffée par le soleil mais, peut-être plus encore, l'homme entre joie et peine, larmes et sourires. En vérité il s'agit d'un hymne à la vie, dans sa diversité, dans sa beauté et sa fragilité, ici la sublime grand'mère et l'offrande des avrils, là le clown de génie ou la vieille blanchisseuse, ailleurs la fille aux lilas ou les vendanges en Algérie quand ce ne sont pas les vers vengeurs en faveur des transfusés contaminés. Le charme (l'aura) de ces poèmes agit à la fois sur l'esprit et sur le cœur : on y sent vivre l'être habité d'idéal, de paix, d'amour, soucieux de la lumière spirituelle, esthétique et caritative dont nous éclaire la grande Dame des Arts et des Lettres qu'est à nos yeux Lucienne-Grâce Georges. Roland LE CORDIER Président d'Honneur de la Société des Poètes Français
|
Retranchée dans la solitude d'un monde que je ne comprends pas, j'observe d'un œil critique le film des réalités d'aujourd'hui. Si j'accepte l'évidence, ne me demandez pas d'applaudir. Si même le présent me tient à cœur, ne me demandez pas de renier ce qu 'hier m'a enseigné ; jouez votre rôle jeunes gens, mais ne me demandez pas d'approuver vos extravagances, j'ai autre chose à faire, ne serait-ce que de transmettre le message qui est le mien. Mes préoccupations sont nombreuses, le temps passe, le temps presse, je dois semer la graine qui germera demain, je dois encore souffrir, je dois encore aimer ; ainsi, je n'aurai pas été ce passager clandestin envieux, seulement du bonheur d'autrui mais, bien celui qui usa ses mains au cordage de toute une existence pour construire, reconstruire ce qui méritait de l'être en mettant ses dons au service de Dieu, des siens et de l'humanité. LUCIENNE-GRÂCE GEORGES
|
A la Société des Poètes Français
LE VOYAGEUR
Je suis l'éternel voyageur Qui va de village en village En grappillant sur son passage Ce que dédaigne un vendangeur. Que je sois gai, rieur, songeur, Ou que je manque de courage Je suis l'éternel voyageur Qui va de village en village... Sur mon voilier le « Ravageur » Plus d'une fois j'ai fait naufrage Mais reprenant pied avec rage J'ai dompté le destin vengeur... Je suis l'éternel voyageur Qui va de village en village !
|
LES RUINES DE CÉSARÉE
C'est l'heure éblouissante où des palais de rêve Reflètent leurs splendeurs sur des sables de grève Quand l'absinthe odorante au vert trouble et laiteux Embaume les jardins d'un parfum capiteux Où le site endormi caressé par la brise Réserve à chaque pas quelque douce surprise. Des ruines la couleur semble l'unique bien, Jusqu'au cœur du forum règne un calme olympien, Les colonnes tronquées où plus rien ne repose Offrent à ce décor spectacle grandiose ! D'antiques pans de murs s'écroulent lentement Et de ces tombeaux nus sort un gémissement... Cléopâtre arrachée à sa mère expirante, Avec Juba livrée à Rome délirante, Qu'un César amoureux de la perfection Réunira bien vite, ô bénédiction ! C'est l'heure pacifique où Rome l'africaine Impose un souverain à l'Afrique romaine, Roi sage philosophe et très grand bâtisseur, Ami des écrivains, poètes et sculpteurs, Roi qui s'inspirera de cette Grèce antique Pour bâtir Césarée en terre prophétique, Ce Roi qui sèmera des stades et des bains, Des temples, des palais, et l'art à pleines mains !. Mais l'eau ne coule plus par la fontaine usée, Son fantôme impuissant règne sur le musée En ces lieux où la mer s'éprend du bleu du ciel Où tout ce qui fut vrai n'est plus qu'artificiel !
|
BLIDA J 'ai chanté la petite rose Endormie au pied de Chréa, Qui devint par métamorphose La perle de la Mitidja...
J'ai chanté dans « Le train de vie » La vaillance de ses soldats Et Fromentin qui eut envie D'écrire et de peindre Blida...
J'ai chanté la ville fleurie Qui ployait en toutes saisons Sous le poids de la féerie Qui s'exhalait de nos maisons...
J'ai chanté les vieilles ruelles, Le boulevard des orangers, Les gracieuses demoiselles Qui plaisaient tant aux étrangers..,
J'ai chanté la fontaine fraîche, Les oueds à jamais taris, La douceur d'aller en calèche, Henri, le roi des canaris...
J'ai chanté le bon vieux théâtre, Cafés, marchés, halle aux tabacs, Les soirs d'été, le coin de l'âtre, Les beaux dimanches de là-bas...
J'ai chanté les trois cimetières, Montrant du doigt la vérité, En vers brodé sur nos bannières L'emblème de la liberté...
J'ai chanté le kiosque à musique, Le Ramadan, le Bois-Sacré, Pour toi l'ami je revendique Le grand collège Duveyrier...
J'ai chanté la petite amie Que mon cousin le beau Louisot Promenait par économie À l'ombre du jardin Bizot...
J'ai chanté l'élite sportive Qu'était « bonne est l'eau »* de Blida Badiguel la locomotive, Qui traînait toute une armada.
J'ai chanté la très sainte église, L'égarement de son troupeau, Et le cercueil et la valise Et l'orgueil de notre drapeau...
J'ai chanté du bout de ma plume Mon bel amour de la Saint-Jean Et je m'acharne sur l'enclume Pour que retentisse le temps.
Et je chante à bouche fermée La chanson du pays perdu, De la rose à jamais fanée, Sur un air de fruit défendu !
Jeu de mots :
* Georges Bonello, joueur de « Football » de classe internationale.
|
À « Chréa » QUAND J'ALLAIS DANS LES FOUGÈRES
Quand j'allais dans les fougères À la chasse aux papillons Que j'avais l'âme légère !
Me souviens de la bergère Qui montrait ses cotillons Quand j'allais dans les fougères !
Alors jeune passagère Sans contraintes ni bâillons Que j'avais l'âme légère !
Passagère ou messagère Ainsi chantaient les grillons Quand j'allais dans les fougères !
Si l'on croit que j'exagère Sonnez sonnez carillons Que j'avais l'âme légère !
Je n'étais pas l'étrangère Prise dans les tourbillons Quand j'allais dans les fougères Que j'avais l'âme légère !
|
VENDANGES EN ALGÉRIE Lorsque très jeune enfant j'allais dans le vignoble Accroché de mémoire au contrefort du Tell J'étais séduite alors par le joli castel Qui dominait le site en son enceinte noble.
Familiarisée aux signes prophétiques Je m'enorgueillissais d'être née en ces lieux Sous un ciel sans nuage et béni par les dieux À l'abri semblait-il des hordes fanatiques.
Ainsi je revenais au moment des vendanges Comme pour assister à quelque renouveau Je cueillais le fruit mûr, buvais le vin nouveau, Des noces de Cana je clamais les louanges.
Le gérant de la ferme avec ses chiens aux trousses Par les lentisques verts ou par le jujubier, Partait à la bonne heure en quête d'un gibier Fusil en bandoulière et gibecières rousses.
Puis tout s'accentuait au rite séculaire Des bêtes et des gens qui toujours en éveil S'affairaient dans l'enclos saturé de soleil Conjugant leurs efforts de façon exemplaire.
Les hottes s'emplissaient de grappes odorantes Promises de tout temps à l'auguste pressoir Et l'abeille gourmande active jusqu'au soir Testait le frais nectar aux sources enivrantes.
J'aime à me souvenir de ces jours d'allégresse Où tout était prétexte à rire et à chanter Le vin coulait à flot quand pour nous contenter Bacchus ouvrait le bal au bras de la jeunesse !
|
EXODE Sans les trouver cherchant celles que j'ai perdues, Je me surprends souvent à flâner par les rues, Comme le chemineau pour apaiser sa faim, Je marche très longtemps pour revenir enfin, Vers le doux nid construit à la cime de Nantes, Mais le toit qui penchait me tenaille et me hante ! Quel que soit mon tourment, et quel que soit le temps, Je découvre au grenier l'émotion d'antan, C'est là que je reviens pour caresser les choses, De ma chère maison que recouvraient les roses. La cloche du portail hélas ! ne tinte plus, L'hôte reste muet au mendiant perclus, Je ne la reverrai qu'en mon livre d'images, Exode qu'as-tu fait de ses gais babillages, Je n'attendais plus rien du destin prometteur, Chaque jour m'apportait une part de bonheur, Nous la partagions dans la joie amoureuse, D'être bien l'un à l'autre et jusque dans l'épreuve ! Cette page tournée en cet endroit secret, Demeure le reflet d'un passé si discret, Que j'en ose effeuiller toute la poésie, Exode qu'as-tu fait, qu'as-tu fait de ma vie ? Qu'as-tu fait de si mal pour ne pas avouer, Que les enfants là-bas ne savent plus jouer, Que les vieux pour pleurer n'ont presque plus de larmes, Et que d'autres pays aux leurs vendent des armes, Qu'as-tu fait de la mort, qu'as-tu fait de l'amour, Des amis disparus sans espoir de retour, Qu'as-tu fait dis-le moi de mes pauvres bagages, Quand arrive Juillet, je hais tous les voyages !
|
Texte inspiré par « La Cigale et la Fourmi » de Jean de La Fontaine
EXIL
La jeune femme qu'elle était Avait des rêves à revendre Cigale chantait tout l'été Par l'amour se laissait surprendre...
Aucun jour à l'autre pareil Évoluant dans la verdure Souvent se dorait au soleil Se disant « pourvu que ça dure »...
Un matin, comme par hasard, La chanteuse devint aphone, Un abominable lézard Coupa jusqu'à son téléphone...
Excédée, en quête d'un toit, N'ayant plus un sou dans sa poche, Ne pouvant retrouver sa voix, Rétorqua « diable que c'est moche ».
Se trouvant prise au dépourvu Elle s'en vint chez sa cousine Lui déclarant : « j'ai tout prévu, Je logerai dans ta cuisine »...
Aussitôt dit, aussitôt fait, Elle dépose son bagage, L'hôtesse devant ce forfait, S'exprime alors en ce langage...
« Vous arrivez sans vous gêner, Comme un cheveu sur de la soupe Juste à l'heure du déjeuner Tout en remuant de la croupe...
Que faisiez-vous par le passé Vous chantiez, vous viviez à l'aise, Aujourd'hui c'en est plus qu'assez Ceci dit entre parenthèses »...
Comme la fable l'eut voulu L'autre se fît toute petite Jetant alors son dévolu Sur une belle clématite...
|
À Jean Nadri LE HARKI Dans les yeux du Harki se lisaient le désert, Le désespoir, la fièvre et les regrets d'un monde Auquel il avait cru, rongés par le cancer L'un et l'autre perdus sur la planète immonde.
Il évoquait hier les matins clairs et purs, Le soleil sur la mer, les monts de Kabylie Ou bien se revoyait prisonnier de gros murs, Bête humaine attachée à la corde qu'on lie.
Comme notre Seigneur au Mont des Oliviers De l'heure de sa mort il pressentait l'annonce, Dans son esprit errait l'ombre des éperviers II est tant de questions qui restent sans réponse.
Si nous l'avons pleuré comme on pleure un ami, Si nous aimons ses fils comme on aime les nôtres, C'est que l'amour jamais ne se donne à demi Et c'est que les Harkis sont pour nous des apôtres.
|