Texte de Lucienne Grâce Georges en hommage à Montpensier

 

Extrait de  "Et le coq chanta" et de "l'Orange amère"

 

LES AMIS D'AUTREFOIS

 

En hommage à            

MONTPENSIER VILLAGE

 

 

Me pardonnerez-vous terre de mon pays,

Ce trop de suffisance indélicat oubli,

Me pardonnerez-vous ce travail accompli

Où fière va ma vie en dédaignant l'ami...

Non, je n'ai pas voulu receler le message

Que tous mes souvenirs tel un heureux présage

Veulent encor léguer à ma plume, à la page,

Dans un alléluia, l'hymne à mon village...

Non, je n'ai pas voulu renier les colons,

Costa le boulanger, Pierrot le vigneron,

Epicier, cantonnier, le rude forgeron,

Facteur, garde-champêtre et les gens à façons...

Non, je n'ai pas voulu très chère châtelaine,

A la mantille noire, à la cape de laine,

Aux ans quatre-vingt-seize, à la canne d'ébène,

Ne plus vous voir sourire à travers tant de peine !

Non, je n'ai pas voulu du précieux herbier

Que se flétrisse un jour la fleur de l'amitié,

Car il me fut offert hommage singulier,

Par un très cher ami, Monsieur de Montpensier...

Non, je n'ai pas voulu de mon point de dentelle,

Des heures qui filaient conter la bagatelle,

Car en tissant mes jours ô vieille demoiselle

Au clair miroir d'antan je vous revois si belle !

Non, je n'ai pas voulu reléguer l'oiseleur

Ce chasseur à la glu rayonnant de bonheur,

Le roi des canaris, Pêpe le laboureur,

De l'horloge commune oublier le meilleur...

Non, je n'ai pas voulu du « Café des Touristes »

Abattre la tonnelle, il deviendrait si triste,

Le clown enfariné cabriole sur piste,

Le piano mécanique aide le fantaisiste...

Non, je n'ai pas voulu tout démolir d'un coup,

Boulomanes joyeux, les jeunes un peu fous,

La galette des rois, les crêpes, le vin doux,

Le foyer où pauvres, riches, partageaient tout...

Non, je n'ai pas voulu du vieux portail rustique

Que grincent les accents d'un regret frénétique,

Que nos blanches maisons au refrain identique

Se désolent sans fin sur le dernier cantique...

Non, je n'ai pas voulu sur le beau parchemin

Ne plus mettre l'accent des jours sans lendemain

De jours vécus ensemble où la main dans la main

Nous allions au jardin respirer le jasmin.

Non, je n'ai pas voulu que la rose trémière,

Que les platanes verts, que la pauvre chaumière,

Que les bigaradiers soient privés de lumière,

Que la moisson d'hier ne soit que la dernière !

Non, je n'ai pas voulu démolir l'abreuvoir

Où l'eau limpide coule impérieux devoir,

Les bêtes en troupeau dans la douceur du soir,

S'en vont paisiblement gonflant leurs naseaux noirs...

Non, je n'ai pas voulu de la distillerie,

De la cave au moulin de la vieille huilerie,

De la ferme modèle et de la bergerie,

Verrouiller le passé sur l'horrible tuerie...

Non, je n'ai pas voulu supplicier l'âne gris

Qui portait sa douleur comme un pardon sans prix,

Ni même le convoi qui remonte sans bruit,

Allant rendre à la terre un fruit qu'elle a produit...

Non, je n'ai pas voulu confondre l'hermitage

Avec le gris d'un ciel encombré de nuages,

Nos chars restent fleuris dans le livre d'images

Et nous nous souvenons d'un même paysage...

Non, je n'ai pas voulu puisque je ne le peux,

Ne plus souffrir me faire en repensant à eux,

Les amis d'autrefois, l'institeur fougueux,

L'église de chez nous, son curé valeureux !

Non, je n'ai pas voulu croire en cette agonie,

Le chemin de la croix mène à Pâque bénie,

Parcimonieusement et sans acrimonie,

Marchons, creusons, aimons, la vie est infinie !

Non, je n'ai pas voulu en toute humilité

Que finisse nos jours sans avoir mérité,

La chance de vieillir dans la frugalité

D'un pain blanc, d'un bon vin dans la fraternité !

Qu'il est dur de mourir sans une VÉRITÉ !