Une description par Victor Bérard de BLIDA en 1867  avec un récit du tremblement de terre du 2 janvier

                                          ARRONDISSEMENT DE BLIDA.

                                  COMMUNE DE BLIDA.

SITUATION. Blida est située par 0°30' de longitude
0., et 36°28' de latitude N., dans l'intérieur de l'Algérie, â 48 kil. S.-O. d'Alger, à 42 kil. N.-N.-E. de Médéa, à 70 kil. E. de Miliana.

ASPECT EXTÉRIEUR. Blida, à l'extrémité S. de la plaine de la Métidja, assise sur un terrain uni, au pied septentrional du Petit-Atlas, dont les premiers gradins ne sont éloignés que de quelques centaines de mètres de ses murs, est élevée de 100 mètres au-dessus du Masafran, et de 185 au-dessus du niveau de la mer. Une ceinture du plus beau feuillage l'entoure en toutes saisons. A l'abord même, elle semble perdue dans une forêt d'orangers de la plus luxuriante verdure. A distance, la ville développe une grande étendue où s'élèvent de belles constructions, qui semblent annoncer une cité importante et opulente, placée dans le site le plus heureux.

NOTE HISTORIQUE. Ce lieu, quel que soit le nom antique dont il fut décoré, a dû être occupé de tout temps, à cause de la position avantageuse et charmante qu'il offre, mais rien jusqu'ici n'a prouvé qu'il ait jamais été une station militaire, aux époques reculées. Des marabouts, dont les tombeaux vénérés sont situés près de la source, et sur les bords de l'oued Kebir, furent les premiers habitants qui laissèrent quelques traces dans ce canton. C'est au temps de l'invasion turque qu'il semble qu'on doive rapporter la fondation de la ville, qui fut détruite par le tremblement de terre du 2 mars 1825, à 10 heures 12 du matin. Ce séjour du repos et du plaisir devint un lieu de désolation et un monceau de ruines. Une vaste enceinte carrée fut élevée plus au N., dans la plaine, à 2 kil. de l'ancienne ville détruite ; pour protéger les nouvelles constructions , et recevoir ce qui restait de la population que des auteurs portent à 18,000 âmes avant la catastrophe, où plus de la moitié périt. Mais les Blidéens restèrent fidèles à leur ancienne position, et relevèrent leurs maisons sans vouloir habiter le nouvel enclos, qui est vide et tombe en ruines à son tour.

Le 25 juillet 1830, le général de Bourmont poussa une reconnaissance vers Blida, y fut accueilli avec cordialité, et resta un jour. Au retour, les Kabyles accompagnèrent l'armée de
leur fusillade. Le 19 novembre de la même année, le maréchal Clauzel ne put pénétrer dans la ville qu'après un combat. Il y laissa un corps d'occupation qui, pour la défense de la place, dévasta les jardins aux entours. Ben Zamoun ne cessait de tourmenter la garnison. Le 26, il pénétra dans Blida, mais ne put s'y maintenir. En revenant de Médéa, le maréchal Clauzel évacua la ville, où d'inutiles massacres venaient d'avoir lieu en représailles des attaquesfaites par les Arabes, et une partie de la population suivit nos soldats dans leur mouvement de retraite. Les autres habitants de Blida, qui avaient abandonné leurs foyers à notre approche, revinrent après l'évacuation des troupes françaises, chassèrent le hakem que la France avait laissé, mais furent forcés de se soumettre, en mars 1831, aux armes du général Berthezène. Cependant, ils entrèrent peu après dans la grande coalition formée par Sidi Saadi. Le 20 novembre 1832, ils abandonnèrent de nouveau leur ville, qui fut saccagée par le duc de Rovigo, pillée, évacuée encore par les troupes françaises. Les malheureux habitants acceptèrent alors un hakem de l'émir Abd el-Kader, et en furent punis, le 29 avril 1837, par le général Damrémont. Le traité de la Tafna conservait Blida à la France; le maréchal Valée en prit définitivement possession le 3 mai 1838, et fit tracer deux camps;
l'un dit camp supérieur, à l'U., sur la rive gauche du ravin (que la tradition désigne comme l'ancien lit de l'oued Kebir; l'autre, camp inférieur, à l'E., et à l'entrée même des jardins rouvrant la route qui conduit de Méred au camp supérieur.


L'occupation de la ville ne fut effectuée que petit à petit, afin de prévenir les collisions et les dévastations. L'arrêté du 4 novembre affecta à l'hôtel-de-ville la maison dite Dar Ibrahim Agha. En 1842, Blida entra dans une voie de progrès qui fit concevoir les plus brillantes espérances. Une grande partie du numéraire d'Alger et les efforts de la portion la plus active de la population, furent dépensés dans cette ville d'avenir. Trop de monde à la fois peut-être, se hâta de compromettre des capitaux en constructions ambitieuses et dispendieuses, à cause des frais de transports, et, dès 1846, Blida commença à décliner. Elle se releva depuis, et l'ouverture du chemin de fer, lui promit une nouvelle ère de richesse et de prospérité.

Les 7 et 8 mai 1865, l'Empereur allant à Miliana et au retour, les 11 et 12 du même mois, S. M. allant à Médéa et au retour, a traversé Blida, et l'a visitée avec satisfaction.

Le 2 janvier 1867, à 7 heures 15 minutes du matin, une violente secousse de tremblement de terre lézarda un grand nombre de maisons et en fit écrouler quelques-unes.

Voici, d'après un article inséré dans le journal le Courrier de l'Algérie, quelle fut la physionomie de Blida pendant et après le tremblement de terre du 2 janvier 1867.

Le narrateur dont nous empruntons une partie de la description, s'exprime ainsi :


Nous allons essayer de dire nos impressions pendant la terrible journée du 2 janvier et celles qui la suivirent.

Sept heures du matin ont sonné à l'horloge de Blida... Il pleut, et les gens qui vivent de la terre en remercient le Ciel. L'espoir renaît, le courage des cultivateurs se relève : 1867 a les éperons verts, selon l'expression arabe.

Tout-à-coup un roulement sinistre se fait entendre dans l'O.; les oiseaux fuient avec la rapidité de la flèche en jetant un cri aigu ; un bruit souterrain, pareil à celui de lointaines détonations d'artillerie ou du fracas de lourdes voitures, gronde bientôt sous nos pieds. Il résonne, il est saccadé comme les éclats du tonnerre ; il retentit comme si des masses de roches vitrifiées se brisaient dans des cavernes souterraines. Un souffle chargé de soufre passe sur la ville, puis le sol oscille, il se gonfle, il ondule ; la ligne de propagation s'allonge de l'Ouest à l'Est, et parallèlement à la chaîne du Petit-Atlas. La terre semble se soulever en vagues solides; l'oscillation est horizontale ; on sent aussi de la trépidation, comme si la croûte terrestre était choquée de bas en haut ; c'est une série de commotions et de secousses précipitées. Les constructions ébranlées, craquent comme un navire dans la tempête; les bois se déchirent en gémissant, les poutres se déchaussent, les planchers glissent comme des tiroirs, les vitres se brisent et volent en éclats, les murailles se disjoignent aux angles, les cloisons secouées se fendillent, se gercent, se crevassent et perdent leur aplomb; les plâtres s'exfolient en lamelles squammeuses et volent dans l'air comme des flocons de neige; les tentures se déchirent de haut en bas, les terrasses s'entrouvrent et laissent voir un lambeau du ciel grisâtre. Les meubles se heurtent sourdement, les verres se choquent et vibrent, les sonnettes sonnent, les cloches tintent lugubrement, les glaces se détachent, se renversent et se brisent, les porcelaines et les faïences se fêlent. Tous les enfants crient; les musulmans sont résignés; les mauresques lèvent leurs mains vers le ciel et cherchent à désarmer Allah. Les Juifs, fous de terreur, implorent Jéhovah ; les Juives poussent des sons inarticulés. Chacun s'adresse à son Dieu. Les faux superbes se courbent et se font petits dans ces terribles instants. Dieu exécute sa menace : « Je saisirai la terre comme je le ferais d'un nid d'oiseau que je briserais avec la couvée ! »

Que de douloureux épisodes, que de scènes dramatiques, terribles, ont dû se passer entre ces murailles menaçantes, sous ces terrasses prêtes à s'effondrer, sur ces planchers fuyants sous les pieds; Quelles pensées effrayantes ont dû surgir dans ces cerveaux que la mort va briser peut-être ! Chaque animal jette son cri de frayeur : le chien glapit en fuyant, les chevaux soufflent et brisent leurs liens. La terreur est chez tous et partout. La population dont les trois quarts étaient au lit fuit ses demeures, éperdue, affolée, prise de vertige, et dans le costume où le fléau l'a surprise : des femmes serrant leurs enfants dans leurs bras, des jeunes filles s'échappant, par la pluie, à peine couvertes, échevelées, les pieds mis. Les secousses continuent furieuses; c'est toujours du roulis et de la trépidation ; les secousses sont des éternités ! Nous sentons le fléau courir sous nos pieds ; la terre semble un corps mou, le sol fuit et se relève.

Plusieurs personnes sont renversées par la violence de la commotion. C'est comme une houle de la mer, et l'on en a les étourdissements ! moment terrible où une population, pleine de jeunesse et de santé, peut, en quelques instants, n'être
plus que de la boue humaine ! La mort est partout ; elle est sur nos têtes, sous nos pieds ; elle est devant, derrière nous.

Il pleut des pierres, des tuiles, des briques; c'est un chaos, un fouillis de débris qui s'entrechoquent et se rompent. Tout semble pris d'un délire vertigineux; les arbres eux-mêmes sont agités et se plaignent, et le frisson des feuilles n'est qu'un mystérieux et glacial susurrement. C'est le désordre du dernier jour.

Les murs extérieurs se lézardent ; les corniches se détachent et tombent sourdement, les pignons s'émiettent et forment un tourbillon de poussière jaunâtre, les tuiles volent eu sifflant, les cheminées vacillent comme un homme ivre; elles hésitent, chancellent et s'abattent; quelques-unes restent debout après avoir tourné sur elles-mêmes.

Des pans de murs se détachent comme un décor de théâtre, et laissent voir les entrailles des maisons; les minarets s'inclinent, se redressent et se découronnent, les clochetons de l'église s'agitent sur leurs bases et se disloquent ; l'un des cadrans est précipité sur le sol ; l'horloge s'arrête et marque l'heure fatale - 7 heures 15 minutes.

Dix secondes ont suffi pour mener à fin les terrifiantes péripéties du drame dont nous venons de peindre l'imparfait tableau, toute la population est dehors, sur les places publiques; l'inquiétude est sur tous les visages; on se cherche avec anxiété, on se rencontre, on s'embrasse, on se serre la main, on se raconte les dangers qu'on a courus.

Après la première secousse, les plus hardis étaient rentrés dans leurs demeures pour s'habiller ou pour y prendre les vêtements de leurs femmes ou de leurs enfants; mais un second ébranlement, très-court d'ailleurs, qui se produisit quelques minutes après le premier, les en avait chassé de nouveau. Des malades furent évacués de leurs habitations et apportés, malgré la pluie, sur les places publiques. Trois autres secousses qui se firent successivement sentir à 8 heures 6 minutes, à 9 heures 10, et à 9 heures 30 minutes, achevèrent de ruiner la confiance que quelques tenaces paraissaient avoir dans la solidité de leurs habitations. La plupart des maisons, fortement dégradées par cette dernière secousse, durent être définitivement abandonnées. Les prisons furent vidées, et les troupes d'infanterie quittèrent leurs casernes, devenues inhabitables, pour aller camper en dehors de la Porte Bizot; les malades de l'hôpital militaire furent établis, aussi bien qu'on le put, dans les cours de cet établissement.

Des prélarts furent étendus sous les arbres de la place d'Armes, pour abriter provisoirement contre la pluie les malheureux dont les maisons ne pouvaient plus être habitées sans danger. Les gens nerveux prétendaient même que la terre ne cessait de frissonner.

La nouvelle de la destruction de Mouzaïaville, fut apportée par un gendarme vers les dix heures du matin.
Des tentes de campement avaient été demandées à Alger, et on les attendait dans la journée. Le soir, chacun se casa comme il le put, les uns sous des tentes de l'administration ou dans le camp des Tirailleurs, les autres dans des voitures ou sous des hangars ; la pluie ne cessait de tomber.

Des secousses intermittentes, accompagnées de grondements souterrains ou de détonations lointaines, furent ressenties, cette nuit, du 2 au 3.

Le lendemain Blida n'était plus qu'un camp ; les places, les boulevards, les terrains de la Remonte étaient hérissés de tentes ou de baraques; les services publics, installés sur la place d'Armes, fonctionnaient immédiatement; une ville de toile s'élevait dans la ville de pierre. Le problème de la fusion était même résolu : Chrétiens, Musulmans, Israélites, réunis par la communauté du danger et par la nécessité, habitaient sous la même toile.

La population blidéenne s'était déjà faite à ce nouveau genre d'existence. Dès le soir du 3, l'accordéon français, la guitare espagnole, la flûte arabe, le violon israélite retentissaient sous les tentes. Parfois, un tressaillement du sol venait interrompre brusquement cette harmonie, et rappeler à ceux qui l'avaient oublié, que le courroux de la terre n était point calmé, et qu'ils se réjouissaient sur un volcan.

Les érudits se racontaient aussi des épisodes du tremblement de terre qui avait détruit Blida en 1825; ils faisaient remarquer celle singulière coïncidence de quantième du mois et de jour de la semaine : Ce fut, en effet, le 2 mars, et un mercredi.

L'agitation n'avait cessé de se manifester, mais à des intervalles plus ou moins rapprochés, pendant la journée du 3. Ce n'étaient, à vrai dire, que des frémissements paraissant avoir toujours leur point d'origine dans l'ouest ; aussi, quelques personnes s'étaient-elles décidées à rentrer dans leurs demeures délabrées. Deux secousses successives assez violentes vinrent, à une heure trois quarts de la nuit du 3 au 4, troubler leur quiétude et les pousser de nouveau sur les places publiques.
La pluie n'avait pas discontinué de tomber. Vers quatre heures du matin, un ébranlement court mais intense, chassa définitivement de leurs habitations ceux que la pluie ou l'ignorance du danger y avaient maintenus. Ils durent se résigner à aller prendre leurs bivouacs sur la place publique.

Les journées des 4, 5 et 6 ne furent troublées que par quelques tressaillements sans importance, qui paraissaient être les dernières convulsions intestines de notre planète. Le moral de la population était remonté et la confiance revenue : on s'occupait de mastiquer les lézardes ; mais, le 7, à 5 heures et demie du soir, une brusque commotion, précédée d'un grondement souterrain accourant de l'ouest, vint avertir les confiants que le phénomène n'avait pas pris fin. Les maisons se vidèrent une troisième fois, et ceux qui avaient essayé de s'y installer se décidèrent franchement a camper.

Depuis le 7, on n'a plus compté que quelques vibrations qui n'ont rien ajouté aux dégâts produits par les secousses antérieures.

Aujourd'hui, on a commencé la démolition des constructions menaçant ruine, et la consolidation des autres. La ville aux fruits d'or, un moment morne, triste et abattue, reprendra bientôt ses charmes et les attraits qui nous la faisaient tant aimer.
Oublions nos maux, mais non la leçon. Nous voudrions qu'elle
profitât aux propriétaires présents 'et futurs, et qu'à l'avenir, ils fissent construire dans des conditions de sécurité plus en rapport avec la constitution du sol sur lequel Blida est assise.

Mais pourquoi nous décourager quand déjà les oiseaux chantent leurs amours dans nos jardins, et que les orangers nous jettent à profusion leurs plus délicieux parfums. La science dit d'ailleurs qu'il n'est aucune portion de la surface du globe, soit continentale, soit océanique, qui ne soit exposée aux tremblements de terre. Quoi qu'il en soit, nous sommes avertis.


IMPORTANCE POLITIQUE. Blida, chef-lieu d'arrondissement, a un Sous-Préfet, un Tribunal de première instance, une Justice de paix. La population de la ville et banlieue est de 2,814 Français, 2,510 Etrangers, 570 Juifs, 3,449 Arabes; en bloc, 632. Le culte catholique a un curé et plusieurs vicaires ; l'Islamisme a un muphti.

ENCEINTE. Blida est entourée d'un mur de 4 mètres de hauteur, percé par six portes, qui sont: la porte d'Alger, du Camp des Chasseurs, Bab-Zaouïa, Bab-el-Rahba, Babel-Sebt et Bab-el-Kebour ou de Bizot. Le tracé d'une enceinte plus vaste circonscrit le périmètre de la ville en la figure d'un losange, dont la pointe la plus aiguë se prolonge au S.-E. Le fort Mimich, assis sur un versant de la montagne, à 398 mètres au-dessus du niveau de la mer, et sur la rive gauche de l'oued Kebir, coulant entre lui et la ville, la protège au S.

PHYSIONOMIE LOCALE. Blida est un composé d'habitations arabes et de constructions gracieuses, quelquefois grandioses. A côté de la hutte de l'Arabe, de l'ancienne maisonnette, dont un rez-de-chaussée autour d'une petite cour carrée, plantée de quelques orangers, formait toute l'importance, s'élève sur des arcades la maison avec ses hautes fenêtres, ou bien la fraîche demeure de l'homme plus sage et plus modeste, dont les persiennes vertes s'ouvrent sur les plus riches paysages. Beaucoup de maisons jouissent de la vue immense de la plaine de la Mëtidja au N. L'Atlas, qui domine la ville au S., à petite distance, plane de toute la hauteur de son imposant aspect sur tous les quartiers et se voit de presque toutes les rues. La ville, établie sur une surface plane, est régulière, bien percée, et alignée comme une cité américaine. A l'entrée de chacune des portes de Blida est une petite place. Dans les rues Bab-el-Sebl, Bab-er-Rahba, d'Alger, Abdallah (dite des Juifs), rue Grande, rue du Bey (dite des Bains-Français), on voit de hautes maisons françaises ; celles qui forment le carré de la place d'Armes, qui est ornée d'un bassin et de deux rangées d'arbres, sont à arcades et d'une architecture régulière; celles de la place Bab-el-Sebt, où s'élève une jolie fontaine, rivalisent par leur élégance avec ces importantes constructions. La place de l'Orangerie est embellie d'orangers grands et forts. La grande place du Marché des Indigènes, réunit tous les jours une foule d'Arabes qui trouvent, à Blida, deux Fondouks et deux bazars, el viennent y apporter les produits de leurs jardins, tandis que les Européens ont leurs étalages sur la place Bab-el-Sebt ; ils ont aussi, au même lieu, des bâtiments affectés au même usage. La viande el le combustible y sont moins chers qu'à Alger.
La vie n'y est guère à meilleur marché. Les indigènes, tous les vendredis, viennent en grand nombre, à l'O. De la ville, et y tiennent une foire, où l'affluence est prodigieuse. Ils y conduisent des bestiaux, des chevaux et bêtes de somme, - y apportent des céréales, des peaux, laines, charbon, bois à brûler, ? du sel provenant des montagnes. Les Zouaoua offrent leur savon, les Mouzaïa, leur tabac, les Béni Sala, des substances tinctoriales. Ces arabes achètent en échange des fers bruts, de la mercerie, de la quincaillerie, des tissus de coton, des calicots, des foulards, du sucre, de l'épicerie. Il y a une foire du 15 au 20 août de chaque année. Autrefois Blida était renommée pour ses teintureries, ses tanneries, où la préparation du maroquin pour la chaussure, l'équipement et le harnachement était excellente; on y fabriquait des instruments aratoires. De nombreux moulins à farine, établis sur l'oued El-Kebir, qui prend sa source à 4 kil. S. de la ville, dans la gorge profonde à l'embouchure de laquelle est assise la ville, avaient été habilement établis au lieu où des chutes d'eau indiquaient remplacement d'usines de ce genre.

Aujourd'hui, ces industries sont bien délaissées. Toutefois, plusieurs minoteries importantes, exploitées par des Européens, sont en pleine activité; quelques-unes même fonctionnent jour et nuit, et méritent d'être visitées. On verra aussi avec intérêt une grande volière chez M. Giraud.

L'oued El-Kebir presque tout entier, est pris au-dessus de la ville, où l'on a fait un barrage ; ses eaux arrivent à Blida par des conduits souterrains savamment ménagés. Ce travail, et des aqueducs qui passent par Joinville et Montpensier, déversent une abondance de liquide qui est débité par les fontaines de la place El-Sebt - des portes d'Alger, Bab-er-Rahba, Bab-el-Sebt et des bornes fonlaines, répandant plus de 13,000 m cubes d'eau en 24 heures, dans le temps des plus fortes chaleurs. L'excédant suffit à l'irrigation des nombreux jardins cultivés aux entours de la ville, et va encore enrichir les villages de sa surabondance. Un beau lavoir
et trois abreuvoirs publics réunissent une partie de ces ondes, qui coulent sans cesse.

ÉTABLISSEMENTS MILITAIRES. Les bâtiments militaires sont fondés sur un plan bien entendu Les casernes peuvent recevoir 3,000 hommes. Il y a cinq quartiers de cavalerie et un bel établissement des remontes, avec un dépôt d'étalons bien situé, bien tenu.
On y voit plus de 60 beaux étalons destinés à la reproduction, auprès desquels les Indigènes s'empressent, d'amener leurs juments. Un vaste hôpital s'élève près de la porte d'Alger. Le premier conseil de guerre siège à Blida.

ÉTABLISSEMENTS CIVILS. Les constructions de quelque importance sont la Sous-Préfecture, la Mairie et la nouvelle église. Les mosquées Ben Sadoun , et des Turcs, sont restées à l'Islamisme. Une école primaire, tenue par les Frères de la Doctrine chrétienne, dans un édifice spécial, donne la première instruction aux jeunes garçons. Il y a aussi une école maure-française. Les demoiselles fréquentent une institution tenue par les Soeurs de Saint-Joseph. L'institution d'un bureau de bienfaisance a été confirmée le 31 juillet 1853. Un jardin public, clôturé, offre, au bois dit des Oliviers, un lieu de promenade des plus agréables. En face, et sur les bords de l'oued El-Kebir, un très bel abattoir civil dessert la ville, qui a aussi un entrepôt de farine et un entrepôt de tabacs.
Une stalion télégraphique a été établie.

INDUSTRIE PARTICULIÈRE. Un journal se publie sous le titre du Tell. L'orangerie du Tapis-Vert est un Tivoli délicieux, en dehors de la porte d'Alger, où les chanteurs, les acteurs ambulants, les jeux de toute espèce, les danseurs prennent leurs ébats au milieu des plus charmants parterres et sous l'ombrage parfumé d'arbres touffus ; c'est le théâtre, en la saison d'été. Les beaux cafés sont ceux du Commerce, des Arts, de France, et le café Laval qui ne leur cède guère par le goût des ornements et les bonnes consommations. Les hôtels sont bien servis : l'hôtel au coin de la rue d'Alger et de la place d'Armes, les hôtels de la Régence, du Périgord, des Bains français, d'Orient. Blida a un comice agricole.

ENVIRONS. Blida est une corbeille de fleurs. Sidi H'amed ben Yousef, le poète satyrique, n'a trouvé pour elle qu'un madrigal, en disant: on t'a nommé petite ville, moi je t'appellerai petite rose. Les environs sont enchanteurs, à cause de la forêt d'orangers et des beaux jardins cultivés avec intelligence, du milieu desquels s'élèvent ses murs. Les orangeries s'étendent sur une superficie de 110 hectares; elles comportent 10,781 pieds d'orangers en plein rapport, 4,119 citronniers, 2,026 limoniers, 265 cédratiers et 2,148 orangers chinois et 4,502 mandarins. En 1861, 8,000 caisses d'oranges, à 15 francs l'une, en moyenne surplace, ont été exportées. Ses champs s'étendent dans un immense lointain, au N., à l'E. el à l'O., et se prolongent dans la plaine de la Métidja jusqu'au Sahel de Koléa et au Chenoua, qui cache la vue de Cherchel, ou bien sont disposés en amphithéâtre, au S., sur les pentes de l'Atlas. Là, croissent la garique, l'yeuse, le lentisque, le micocoulier, le caroubier, le palmier éventail, le genévrier, dans un désordre fantastique et charmant. Lorsqu'en pénétrant dans la vallée profonde, à l'entrée de laquelle est assise Blida, on remonte au S. par un sentier fleuri et ombragé, vers la source de l'oued El-Kebir, qui se montre à 8 kilom. de la ville, on voit les tombeaux très vénérés du marabout Sidi Mohammed el-Kebir et de ses deux fils, qui consistent en trois dômes fort fréquentés des pèlerins, qui y apportent des présents. Au bois des Oliviers, dit le Bois sacré, au S.-O. de la ville, et sur la rive droite de l'oued El-Kebir, se trouve aussi le tombeau d'un Sidi Mohammed Blidi, très-illustre dans les légendes. Ces lieux de dévotion forment des promenades on ne saurait plus pittoresques. Dans la direction de l'O., et à 8 kilom. de Blida, est le pont de la Chiffa, auprès duquel l'ordonnance royale du 22 décembre 1846, a créé un village dont la moitié des maisons a été renversée par le tremblement de terre du 2 janvier 1867. La vallée de la Chiffa, longue de 16 kilom., va en se rétrécissant au S., laissant des échappées de vue magnifiques entre les rochers Quatre filets d'eau principaux, tombant à 100 mètres, à l'endroit où la gorge est la plus resserrée, et rejaillissant en perles liquides sur des anfractuosités tapissées d'oléandres, de salicaires et de lauriers-roses, forment ce qu'on appelle les Cascades de la Chiffa. On passe devant elles en suivant la route qui conduit a Médéa. Dans ces gorges est une pépinière en voie d'expérimentation pour le quinquina, qui est une annexe du Jardin d'acclimatation d'Alger. Auprès d'un ruisseau nommé le Ruisseau des Singes, est une bonne auberge où l'on ne couche pas. L'Empereur allant visiter Médéa, déjeûna avec sa suite, le 11 mai 1865, au bord de ce ruisseau.

ROUTES. Les routes qui partent de Blida sont :

1° Au S.-E. la route de Rovigo ;

2° Au S. la route d'Alger, par Boufarik et Blida ;

3» Au S.-O. la route de Koléa ;

4° A l'O. la route de Cherchell.

TRANSPORTS. La ligne du chemin de fer d'Alger s'arrête à Blida. Des voitures de toute espèce sont à la disposition des voyageurs peu ingambes et autres. Des mulets conduits par d'infatigables Arabes servent aussi aux transports.

Les sections communales sont :

1° JOINVILLE, village situé à 2 kilom. à l'O.-N.-O. de Blida, occupe un plateau qui domine la Métidja. C'est l'emplacement du camp dit Supérieur, établi par le maréchal Valée, en 1838.
L'arrêté du 5 juillet 1843 a établi dans son enceinte même, le centre de population pour 60 familles. Un bel aqueduc y amène des eaux abondantes qui remplissent une fontaine et un lavoir.
L'éducation des plantes potagères se joint à la culture heureusement conduite dans cette localité, qui est comme un faubourg de Blida. La population est de 219 Français, 161 Etrangers, 31 Arabes.

2° MONTPENSIER est situé à 2 kil. au N. de Blida, non loin et à l'E. de l'enclos inhabité qui avait été préparé, du temps des Turcs, pour recevoir les habitants de cette ville, après le tremblement de terre de 1825. Ce village a été établi, par arrêté du 23 juin 1843, dans l'enceinte même du camp dit Inférieur, pour 20 familles Les eaux d'alimentation et d'irrigation y viennent par des canaux maçonnés, et en excellent état de conservation. Il y a un lavoir couvert. L'hortolage fait l'occupation la plus lucrative des gens de l'endroit, qui ont l'écoulement fructueux de ces produits par le voisinage de Blida.
Ils ont aussi des céréales et de beaux tabacs. La population est
de 120 Français, 51 Étrangers, 16 Arabes.

3' DALMAT1E, à 4 kilom. N.-E. de Blida, par 213 mètres d'altitude , village créé par arrêté du 13 septembre 1844, possède un territoire des plus fertiles. Il est bien arrosé d'eaux qui viennent de l'Atlas et ne tarissent jamais. Le lavoir est couvert. Un moulin è farine et un à huile fonctionnent dans une gorge. La population est de 160 Français, 79 Etrangers, 341 Arabes.
Il y a une église, une école de garçons, un orphelinat libre pour les jeunes filles.

4» BENI-MÉRED, à 7 kilom. N.-E. de Blida, et à égale distance de Boufarik, par 129 mètres d'altitude, fut dans le principe une colonie de soldats. On y voit encore un mur crénelé, flanqué de petites tours aux angles. C'est entre Boufarik et Beni-Méred que, le 11 avril 1842, vingt-deux hommes, porteurs de la correspondance, et commandés par le jeune sergent Blandan, furent attaqués en plaine par 300 cavaliers de Ben Salem, et périrent presque tous. Une colonne commémorative, élevée par souscription, décore la place de Beni-Méred ; une fontaine établie au-dessous, verse l'eau par quatre mascarons de bronze dans des vasques de granit. Les eaux affectées au village sont prises dans l'oued Béni Aza, par un canal de dérivation qui les conduit dans un réservoir d'où elles sont réparties en quantités déterminées. L'arrêté du 16 janvier 1843 érigea Beni-Méred en village militaire. 11 fut nécessaire d'y créer une annexe civile, par l'arrêté du 15 décembre 1845. Eglise, école de garçons. La route de Blida à Boufarik traverse ce joli village, à l'E duquel passe le chemin de fer. Il y a une station. L'Empereur allant à Miliana, a suivi ce parcours le 7 mai 1865. Les cultures sont belles et variées à Beni-Mëred. On exploite des ardoisières sur les lieux, et à Ferouka, dans l'Atlas.

Les annexes de Beni-Méred sont : Sidi Moussa et Cheblaouï.
Population totale, 375 Français, 73 Etrangers, 172 Musulmans.

Tous ces villages sont reliés à Blida par des chemins vicinaux si parfaitement entretenus, qu'on pourrait les prendre pour des allées de jardins.