CHREA STATION Un été torride continue cette année les ardeurs d'un printemps d'une rare sécheresse. Dès les orages de la Pentecôte disparus, le thermomètre, sous les feux d'un .soleil de plomb, a atteint, d'un bond, d'invraisemblables hauteurs. Il s'y maintient. Les jours succèdent aux jours, coupés de siroco et de vent d'Ouest, mais sevrés de ces brises du Nord et de l'Est qui, jadis, tempéraient heureusement les chaleurs estivales. Nous avons, devant nous, trois mois à haleter, — la perspective n'est pas gaie. Que faire ?... Les privilégiés de la fortune ou ceux à qui leurs occupations permettent de prendre annuellement un repos bien gagné ont assuré leurs dispositions à l'avance et couvert de leurs souscriptions les listes de passages de la Compagnie Générale Transatlantique el de la Compagnie, de Navigation Mixte. Le Timgad, le Charles-Roux, la Marsa-ll emportent, chaque semaine, un contingent important de passagers assurés de goûter, dans quelque trou très cher, une température relativement supportable.
Mais c'est là une exception. Nombre d'Algériens sont retenus ici par leurs affaires et doivent se contenter d'atténuer at home les rigueurs de la température sénégalienne dont l'été nous gratifie ou de découvrir une villégiature qu'ils pourront rejoindre, leur journée finie, afin de se refaire et de raviver leurs forces. Ils ont le choix entre la mer et la montagne. Beaucoup préfèrent celle-ci, en raison de son caractère nettement tonique el réparateur. Le corps médical n'hésite pas à la recommander à tous les surmenés, à tons les nerveux que plusieurs mois d'agitation fébrile ont mis à bout de forces. C'est à ceux-ci que nous croyons devoir dédier cette courte étude sur Cbréa-Station, dont la vogue s'accroît de jour en jour. On est frappé, dès l'abord, par les différences énormes existant entre les températures relevées à Chréa el celles notées à la station météorologique de Blida, installée dans la cour de la Mairie de la Ville des Roses. Notre excellent confrère le Tell publie, à ce sujet, des relevés comparatifs particulièrement intéressants. La différence moyenne entre la température de Blida, qui ne diffère pas sensiblement de celle d'Alger, est de 8 degrés-centigrades environ. Cet écart n'a rien d'excessif, quelque invraisemblable qu'il puisse paraître. L'altitude de Chréa est de 1,509 mètres (poste météorologique) et celle de Blida de 260 mètres 70 (cuvette du baromètre). Jl y a donc une différence de niveau de température de onze degrés centigrades environ. L'orientation à l'Ouest du centre d'estivage cause une perte de 3 degrés, ce qui est regrettable ; mais, en s'installant sur le versant Nord, qui domine les glacières, les amateurs de camping les rattraperont aisément. Ce qui fait surtout le grand intérêt de Chréa, au point de vue climatique, est que, souvent, tandis qu'un siroco infernal embrase Blida et ses alentours, les habitants de Chréa jouissent d'un agréable zéphyr ; la différence de température entre les deux points peut alors atteindre 13 degrés. Cette particularité a soulevé le scepticisme de nombreux Algériens ; on en trouve heureusement l'éclatante confirmation dans une thèse signée du nom de M. Thévenel, un de nos meilleurs météorologistes et que l'on peut résumer ainsi : — En dehors des courants horizontaux, tels qu'ils résultent des données barométriques et agissant sur la température selon la nature des régions d'où ils proviennent, en dehors des effets de la radiation solaire ou du rayonnement nocturne exerçant leurs influences selon l'état de l'atmosphère, une toute autre cause complètement indépendante des précédentes peut agir sur la température avec une intensité souvent considérable. Une variation brusque de la pression dans un sens ou dans l'autre peut produire, sur la masse d'air qui la subit, soit un échauffement, soit un refroidissement sans aucune action calorique de source étrangère. On connaît l'expérience du briquet à air, dans laquelle une masse de ce fluide, soumise dans un cylindre à une compression brusque, atteint une température assez élevée pour enflammer un morceau d'amadou. II s'agirait de rechercher si, dans la nature, les conditions de cette expérience ne se trouvent pas réalisées dans une mesure beaucoup plus faible, il est vrai, mais suffisante pour produire des effets thermiques sensibles. Il suffît de supposer qu'un courant d'air violent soit amené à descendre le long du versant d'une montagne. C'est là ce qui se produit à Blida, lorsque souffle le vent du Sud. En évaluant la valeur du relief de l'Atlas à 1,250 mètres au-dessus de la ville, la pression barométrique éprouverait une variation brusque de 610mm à 740mm dans son passage de Chréa à Blida. Or, d'après les formules de la thermidodynamique on calcule aisément l'échauffement résultant que l'on peut évaluer à 13 degrés centigrades environ. Si, à Blida, il y a 40, à Chréa il y aura 27. Sur les sommets de l'Atlas et, en particulier, à Chréa, la fraîcheur des nuits est délicieuse, et s'explique par un très fort rayonnement. Dès 3.200 mètres, l'air est d'une limpidité et d'une siccité presque parfaites. De légers souffles du Sud viennent, aux premières heures de la nuit, diminuer sa proportion de vapeur d'eau.
Les conditions de refroidissement rapides y sont donc trop nombreuses pour que cette constatation puisse être l'objet d'une discussion sérieuse. Etant donné, nous ne saurions trop le répéter, que la température à Alger et à Blida est à peu près la même, Chréa, dont l'accès est maintenant des plus faciles, est la station idéale de .montagne en Algérie. Les paysages qu'on y contemple ont été trop de fois décrits et représentés ici pour qu'il soit nécessaire d'insister sur leur solennelle grandeur. Nous ne pouvons qu'engager nos lecteurs à visiter ce coin charmant. Les forêts de cèdres d'Algérie sont universellement connues. Que de beauté sauvage elles évoquent Au milieu d'elles l'on jouit de sensations indéfinissables. L'esprit s'élève dans l'ambiance du pittoresque. Rien de plus.beau que de voir ces arbres vénérables s'étaler majestueusement, régner en souverains sur les plateaux et les sommets où passe le vent du large, couvrir les pentes en masses serrées et livrer à la montagne un assaut triomphal.
ANDRE DORIA.
L'Afrique Illustrée 15/07/1922 |