Mon  école Bonnier

par Charles Antoine

-Septembre 2014-

J’ai rangé des vieux documents , rescapés d’un autre rivage. En détachant la ficelle j’ai laissé tomber des feuillets et des cahiers. La première feuille double concernait une interrogation écrite de 5 ième , cours complémentaire à Bonnier.

Le temps s’est effacé pour l’espace accompagné d’une mélancolie sans oppression, songeuse.

 

L’impression de beauté venait de la rencontre d’une large façade en arcade ouverte sur une cours plantée de frênes, l’école était bornée à ses deux extrémités par deux courtes ailes.

Au rez-de-chaussée s'ouvraient les classes du cours préparatoire à la classe de certificat d’études de Monsieur Masini. L’aile droite abritait le bureau du Directeur accolé à un jardinet bordé d’une belle glycine. L’aile gauche était occupée au rez de chaussé par «les commodités» de l’école et une classe partagée par Madame Bloget, professeur d’anglais et Monsieur Sassi , professeur de dessin et d’arabe classique.


L'étage était consacré aux classes du cours complémentaire et se prolongeait par des appartements d’enseignants. ..

Des enseignants des cours primaires j’ai souvenir de Madame Saval, élégante, Madame Moujika à l’apparence sévère et pourtant pleine de compassion, Monsieur Ascenci et mes copains de classe Bagur, Trouvé, Cardona, Timimoun, Saval, Gnassia, Bauvino, Ballester, Coulié, Liautaud….


En général nous arrivions devant l'école un quart d'heure avant les cours. Nous retrouvions les copains, devant les «boutiques» des marchands ambulants -une poussette reconvertie en étal de bonbons- nous nous attroupions autour du vendeur de «kilomètre» sorte de caramel mou, entouré autour d’un bâton, qu’il étirait selon la monnaie disponible. D’autres vendaient des jujubes au verre ou des verres de bliblis, pois chiches grillés ou sucrés.


La récréation permettait de jouer aux noyaux ou au sfollet entre autres activités .

Pour tenir boutique il fallait dès la sortie des cours courir sous le préau pour investir une place, s'asseoir les jambes écartées et poser entre les genoux soit un noyau d'abricot, soit quatre en tas (trois noyaux de base supportant un dernier pour faire la pyramide). On attendait le client en criant "…à qui tire,…à qui tire". Lorsque le tireur touchait le noyau il en gagnait cinq, s'il abattait le "tas" c’était quatre.


Le sfollet était fait d’une pièce trouée que l'on obturait avec un papier découpé en fines bandes. Nous constituions deux équipes de cinq joueurs, les règles étaient celles du foot, le sfollet remplaçait le ballon, il ne devait jamais toucher le sol, sinon il passait à l'autre équipe. Jeux de jonglerie sans brusquerie.

Pour d’autres la cour devenait piste de course et les plus rapides étaient les élèves de M Masini dont Bernard Rahis futur international de foot

Nous ne sortions qu’exceptionnellement de l’enceinte de l’école et pourtant un fait allait nous marquer Le 8 mai 1945 avec les écoles de la ville, nous nous sommes retrouvés place des fêtes, pour faire un triomphe aux soldats vainqueurs. Nous avions des drapeaux tricolores faits de papier. Une rumeur enfla, des mouvements agitaient les rangs des spectateurs créant une bousculade. La place fut rapidement envahie par des arabes armés de bâton, on nous demanda de nous réfugier dans l’église Saint Charles. Lorsque j’ai vu les manifestants venir vers nous en hurlant j’ai pris mes jambes à mon cou et je me suis sauvé vers l’école en filant le long des casernes par le stade Duruy.


Nos maîtres


Monsieur Ascensi au CM2

Instituteur sévère peut être mais capable en un an de nous apprendre les arcanes de la grammaire en nous obligeant à en connaître par cœur les règles essentielles. J’en ai payé le prix, harassé je lui remis ma punition. C’était une copie que je reprends pour la cent et unième fois ( les cents précédentes étant ma punition) «le participe passé employé avec l'auxiliaire avoir s’accorde en genre et en nombre avec le complément d'objet direct si celui-ci est placé avant»; je vous recommande d’en faire autant,

Pour l’ enseignement des mathématiques il fallait décortiquer l’énoncé puis établir ce que d’aucuns appellent un «check-list»: Il dictait «hypothèse reprenez l’énoncé, conclusion reprenez la question, et terminons par: supposons le problème résolu,…..». En fin de CM2 nous savions résoudre un problème en algébrisant sans le savoir.


Le cours complémentaire avait bonne réputation, les profs étaient rigoureux, sans l’exprimer ils avaient en commun un art de l’enseignement qui obligeait l’élève à recommencer les exercices, de parler et d’écrire..


Quelques souvenirs


Mr Schläppi , professeur de maths.

Chaque cours commençait par une interro relative au cours précédent. Facile si on révisait, révélateur autrement. S’il lui arrivait d’avoir un léger retard, du bas de l’escalier, il dictait d’un langage aérien,sûr,sans retour,

«Interrogation écrite numéro 4 Résoudre et discuter a(ax+2b-2a)....

Il entrait lentement sans que nous levions la tête. Ah qu’elles étaient longues ces quinze minutes. Je ne regrettais pas la ballade de la veille avec Francis Orta, mais en rentrant plus tôt, en révisant mes cours j’aurais évité certains naufrages...La semaine suivante on retrouvait notre copie annotée " Oh ! Mr Antoine " le tout précédant un 3/20. Pour un élève les annotations valent tous les discours, confus comme le renard de la fable on se jure de ne plus se faire reprendre.

Son humour était toujours latent prêt à rebondir sur peu de chose. Il faisait un tour de classe et tout sourire balançait

"Monsieur Benlalikodja, je vous ai vu hier boulevard Beauprêtre, mais comme vous faisiez semblant de ne pas me voir, je n’ai pas insisté "

Toute la classe pouffait non sans en tirer la leçon.

M'sieur jeudi prochain c'est l'ascension est ce que vous faites cours ? “

Et oui c'est l'ascension, on monte ”

Il s'établissait alors une complicité, une intelligence.

Un jour il fut terrassé par une crise de coliques néphrétiques, alors que nous allions entrer dans sa classe, Léon Gendre le directeur le fit asseoir à l'avant de sa 203 pour le conduire je ne sais vers quel soin, ils traversaient lentement la cour, vitre baissée, je lui demandais alors s'il souffrait. Il sourit et répondit

"Cela ne se voit pas" sa malice prenait le pas sur la souffrance.

En classe Schläppi se donnait le droit d’être pleinement lui-même. Il préparait ses cours d’algèbre et de géométrie avec rigueur ne laissant pas de place à l’improvisation. Pour inculquer le fond il attachait de l’importance à la forme qui se traduisait en préambule de chaque cours par une interro écrite puis par un cours dicté. Il avait la manière pour imposer la matière en imposant l’apprentissage des théorèmes que nous devions apprendre par cœur. Au fil des années le programme se durcissait de tel sorte qu’arrivés au Lycée Duveyrier chez Lubrano nous connaissions la moitié du programme de seconde.

Je ne connaissais de lui que ce qu’une conscience de gamin permet d’arrêter, ou ce que le métier dévoile mais par une obscure appréhension je ressentais qu’il éprouvait une pitié affectueuse pour nos erreurs. Cette approche facile avec ses élèves venait d’un singulier mélange d'objectivité, d’intelligence perspicace, de finesse, d’humour.

J’ai découvert un autre aspect de l’extrême complexité de sa nature le jour ou Broccard, prof de géo, nous annonça qu’il avait réussi le concours d’inspecteur. Poussé par la curiosité et le désir de voir deux autres profs glisser vers cette voie, nous avons abordé avec Lombard le sujet avec Sassi et Schläppi . Ce dernier nous fit comprendre sans l’exprimer son refus du pouvoir, de la gloire, de la vanité quant à Sassi il me dit que cette fonction ne relevait pas de son statut , nous éprouvions un profond malaise.

Il y a quelques années J’ai trouvé son numéro de téléphone et je l’ai appelé

En un cours instant il m’a identifié et fredonné «je m’appelle Antoine fleur de pivoine» moment d’émotion. Au sujet du quotidien et de l’arrivée des nouveaux supports il me glissa

« tout va vite maintenant c’est l’ordinateur qui sévit, l’autre jour à la poste on m’a demandé comment mon nom s’écrivait et voyez vous à chaque lettre énoncée je me disais que pendant ce temps un ordinateur fait des milliers de calcul»


ROBERTO Professeur de Français

Très vif, l’homme fragile ne supportait pas la moindre incartade, de sorte que la classe restait silencieuse. Il avait une force extraordinaire un jour il prit l’angle du tableau dans sa main droite et le fit pivoter. Stupéfiant. Il avait sa classe, sa bibliothèque qu’il voulait nous faire partager. On y trouvait les classiques, des Contes et Légendes, Walter Scott, Dickens.

A chaque dictée il fallait analyser les textes avec des signes « cabalistiques » disait il. Le verbe souligné d’un trait, le sujet de deux, le complément d’objet direct entre parenthèses etc… En un instant la syntaxe se décomposait et devenait architecture faite de signes. J’étais délivré du souci de chercher des connaissances concrètes, la géométrie devenait orthographe.


Un jour sans aucune raison nous avons gravi l’escalier en tapant du pied , bruit sourd et scandé d’une classe qui marche au pas. Entré en classe M.Roberto, furieux, hurla «qui a frappé du pied». Devant le mutisme général il fut pris d’un accès soudain de colère qu’il exprima brutalement en nous ordonnant de rester debout les bras en l’air. Michel Defaut est entré après nous, s’est excusé pour son retard et par réflexe a levé les bras, Roberto l’exempta de la punition. Exercice douloureux lorsque celui-ci dure. Au bout d’un moment Chouiet se tordait de douleur, il fut autorisé à s’asseoir. Nous gigotions en gémissant. Soudain Roberto se mit à trembler, tituba . Il émit des phrases confuses. Lentement se cramponnant au bureau il s’affaissa, nous restions les bras en l’air, médusés sans bouger. C’est Michel qui courut chercher secours chez Schläppi, celui-ci nous cria 

«descendez vos bras» .. Le prof fut évacué, il avait sombré dans le coma.


SASSI Professeur de dessin

Très calme, posé, élégant, il sanctionnait les comportements déplacés en assénant un coup sec et violent sur la paume ouverte de la main.


GENDRE, Directeur et professeur d’histoire

Gendre c’était l’histoire, la mémoire, la contemplation du passé, il transmettait ce qui aujourd’hui pour une nouvelle jeunesse est le révolu, l’ancien, le dépassé. Il n’avait jamais accepté «le honteux traité de Paris» qui vendait la Louisiane , disait-il.


Il commençait ses cours en interpellant une victime au hasard en lui faisant réciter un résumé du dernier cours.

Ce jour-là je n’avais appris que le premier et le dernier paragraphe. Par malchance il m’interrogea. Je débitais lentement le premier paragraphe, puis remarquant qu’il était fort absorbé par le spectacle des jeunes filles qui évoluaient sur le terrain de sport sous la fenêtre, j’’enchaînais directement avec le dernier paragraphe. Quelques murmures attirèrent son attention, gratifié d’une bonne note je rejoignis ma place.

Pouvons- nous oublier le face à face Gendre – Bourdeau?

Un jour de pluie Castella Jean Pierre est venu en classe avec un grand parapluie. Durant le cours Bourdeau glissa quelque chose dans le parapluie. Gendre se rua vers le parapluie en extirpa un objet enveloppé dans du papier journal., ses doigts brisèrent l’enveloppe il les regarda en cria «  c’est de la merde»

Si un jour vous croisez Bourdeau fermez bien votre parapluie


BROCCARD  professeur de sciences

Histoire du hanneton M Brocard demanda de lui apporter des insectes pour étudier les coléoptères et en particulier le hanneton, sujet phare d’un cours de cinquième.

Les cahiers de sciences naturelles sont originaux, chaque page d’écriture voisine avec une feuille de dessin ce qui permet d’illustrer le cours. En début d’année une grande attention est portée à la tenue et particulièrement les dessins

A la vue de ce que nous lui avons apporté le prof, s’extasiait, récupérait le contenu de toutes les boîtes. Sur le marbre glissaient des gros scolopendres, des lucanes, des capricornes, des mini-rhinocéros, des bousiers, des carabes de toutes les couleurs, des cétoines poilues, dorées, une luciole , une sauterelle de 10 cm,

«Le hanneton c’est un lucane mais sans mandibules, c’est un capricorne sans ses antennes, c’est une cétoine sans ses poils, »

Il dessinait sur le tableau noir et le hanneton prenait forme, prenait vie. Sur mon cahier je m’appliquais à reproduire cet insecte exotique qui paraissait doté de toutes ces qualités qui n’appartiennent qu’à ce qui venait de France. Hanneton, que de voyages évoqués.

Ecole de météo à Paris , Plus tard. Toutes les fenêtres étaient ouvertes et l’air frais véhiculait de curieux insectes qui bourdonnaient dans la pièce. Je demandais à mon voisin «c’est quoi ces bestioles». Ahuri, incrédule, il me répondit: «Des hannetons, c’est des hannetons»


Mais oui si on lui rajoute des mandibules, si on lui rajoute des antennes, si on le colore ….j’en ai pris un et j’ai retrouvé mon cahier, ses dessins.

N’oublions pas Deschamp notre prof de gym , il ne cacha pas sa joie lorsque Ottan et Houdot rejoignirent l’équipe de hand, et avec quel fierté il fêta la cinquième place de Bengergoura en finale du challenge du nombre à Paris ( Le journal des sports , l’Equipe de cette époque l’avait remarqué) 


Les copains de classe se raréfient , Petit, Vitse, Legrand, Orta, Lombard, Soyer, Mugneret, Duffaut , Bernot, Ottan, Lillo, Ohmer, Salort écriront peut être d’autres pages.