J’ai rangé des vieux
documents , rescapés d’un autre rivage. En détachant la ficelle
j’ai laissé tomber des feuillets et des cahiers. La première
feuille double concernait une interrogation écrite de 5 ième ,
cours complémentaire à Bonnier.
Le temps s’est effacé
pour l’espace accompagné d’une mélancolie sans oppression,
songeuse.
L’impression
de beauté venait de la rencontre d’une large façade en arcade
ouverte sur une cours plantée de frênes, l’école était
bornée à ses deux extrémités par deux courtes ailes.
Au rez-de-chaussée
s'ouvraient les classes du cours préparatoire à la classe de
certificat d’études de Monsieur Masini. L’aile droite abritait
le bureau du Directeur accolé à un jardinet bordé d’une belle
glycine. L’aile gauche était occupée au rez de chaussé par
«les commodités» de l’école et une classe partagée par
Madame Bloget, professeur d’anglais et Monsieur Sassi , professeur
de dessin et d’arabe classique.
L'étage était consacré
aux classes du cours complémentaire et se prolongeait par des
appartements d’enseignants. ..
Des enseignants des cours
primaires j’ai souvenir de Madame Saval, élégante, Madame Moujika
à l’apparence sévère et pourtant pleine de compassion, Monsieur
Ascenci et mes copains de classe Bagur, Trouvé,
Cardona, Timimoun, Saval, Gnassia, Bauvino, Ballester, Coulié,
Liautaud….
En
général nous arrivions devant l'école un quart d'heure avant les
cours. Nous retrouvions les copains, devant les «boutiques» des
marchands ambulants -une poussette reconvertie en étal de bonbons-
nous nous attroupions autour du vendeur de «kilomètre» sorte de
caramel mou, entouré autour d’un bâton, qu’il étirait selon
la monnaie disponible. D’autres vendaient des jujubes au verre ou
des verres de bliblis, pois chiches grillés ou sucrés.
La récréation
permettait de jouer aux noyaux ou au sfollet entre autres
activités .
Pour tenir boutique il
fallait dès la sortie des cours courir sous le préau pour
investir une place, s'asseoir les jambes écartées et poser
entre les genoux soit un noyau d'abricot, soit quatre en tas (trois
noyaux de base supportant un dernier pour faire la pyramide). On
attendait le client en criant "…à qui tire,…à qui tire".
Lorsque le tireur touchait le noyau il en gagnait cinq, s'il abattait
le "tas" c’était quatre.
Le sfollet était fait
d’une pièce trouée que l'on obturait avec un papier découpé
en fines bandes. Nous constituions deux équipes de cinq joueurs, les
règles étaient celles du foot, le sfollet remplaçait le ballon,
il ne devait jamais toucher le sol, sinon il passait à l'autre
équipe. Jeux de jonglerie sans brusquerie.
Pour d’autres la cour
devenait piste de course et les plus rapides étaient les élèves de
M Masini dont Bernard Rahis futur international de foot
Nous ne sortions
qu’exceptionnellement de l’enceinte de l’école et pourtant un
fait allait nous marquer Le 8 mai 1945 avec les écoles de la ville,
nous nous sommes retrouvés place des fêtes, pour faire un
triomphe aux soldats vainqueurs. Nous avions des drapeaux tricolores
faits de papier. Une rumeur enfla, des mouvements agitaient les rangs
des spectateurs créant une bousculade. La place fut rapidement
envahie par des arabes armés de bâton, on nous demanda de nous
réfugier dans l’église Saint Charles. Lorsque j’ai vu les
manifestants venir vers nous en hurlant j’ai pris mes jambes à mon
cou et je me suis sauvé vers l’école en filant le long des
casernes par le stade Duruy.
Nos
maîtres
Monsieur Ascensi au
CM2
Instituteur sévère peut
être mais capable en un an de nous apprendre les arcanes de la
grammaire en nous obligeant à en connaître par cœur les règles
essentielles. J’en ai payé le prix, harassé je lui remis ma
punition. C’était une copie que je reprends pour la cent et unième
fois ( les cents précédentes étant ma punition) «le participe passé employé
avec l'auxiliaire avoir s’accorde en genre et en nombre avec le complément
d'objet direct si celui-ci est placé avant»; je vous recommande d’en
faire autant,
Pour l’ enseignement
des mathématiques il fallait décortiquer l’énoncé puis établir
ce que d’aucuns appellent un «check-list»: Il dictait «hypothèse
reprenez l’énoncé, conclusion reprenez la question, et
terminons par: supposons le problème résolu,…..». En fin de CM2
nous savions résoudre un problème en algébrisant sans le savoir.
Le cours complémentaire
avait bonne réputation, les profs étaient rigoureux, sans
l’exprimer ils avaient en commun un art de l’enseignement qui
obligeait l’élève à recommencer les exercices, de parler et
d’écrire..
Quelques souvenirs
Mr Schläppi ,
professeur de maths.
Chaque cours commençait
par une interro relative au cours précédent. Facile si on révisait,
révélateur autrement. S’il lui arrivait d’avoir un léger
retard, du bas de l’escalier, il dictait d’un langage
aérien,sûr,sans retour,
«Interrogation écrite
numéro 4 Résoudre et discuter a(ax+2b-2a)....
Il entrait lentement sans
que nous levions la tête. Ah qu’elles étaient longues ces quinze
minutes. Je ne regrettais pas la ballade de la veille avec Francis
Orta, mais en rentrant plus tôt, en révisant mes cours j’aurais
évité certains naufrages...La semaine suivante on retrouvait notre
copie annotée " Oh ! Mr Antoine " le tout précédant un
3/20. Pour un élève les annotations valent tous les discours,
confus comme le renard de la fable on se jure de ne plus se faire
reprendre.
Son humour était
toujours latent prêt à rebondir sur peu de chose. Il faisait un
tour de classe et tout sourire balançait
"Monsieur
Benlalikodja, je vous ai vu hier boulevard Beauprêtre, mais comme
vous faisiez semblant de ne pas me voir, je n’ai pas insisté "
Toute la classe pouffait
non sans en tirer la leçon.
“M'sieur jeudi prochain
c'est l'ascension est ce que vous faites cours ? “
“Et oui c'est
l'ascension, on monte ”
Il s'établissait alors
une complicité, une intelligence.
Un jour il fut terrassé
par une crise de coliques néphrétiques, alors que nous allions
entrer dans sa classe, Léon Gendre le directeur le fit asseoir à
l'avant de sa 203 pour le conduire je ne sais vers quel soin, ils
traversaient lentement la cour, vitre baissée, je lui demandais
alors s'il souffrait. Il sourit et répondit
"Cela ne se voit
pas" sa malice prenait le pas sur la souffrance.
En classe Schläppi se
donnait le droit d’être pleinement lui-même. Il préparait ses
cours d’algèbre et de géométrie avec rigueur ne laissant pas de
place à l’improvisation. Pour inculquer le fond il attachait de
l’importance à la forme qui se traduisait en préambule de chaque
cours par une interro écrite puis par un cours dicté. Il avait la
manière pour imposer la matière en imposant l’apprentissage des
théorèmes que nous devions apprendre par cœur. Au fil des années
le programme se durcissait de tel sorte qu’arrivés au Lycée
Duveyrier chez Lubrano nous connaissions la moitié du programme de
seconde.
Je ne connaissais de lui
que ce qu’une conscience de gamin permet d’arrêter, ou ce que
le métier dévoile mais par une obscure appréhension je ressentais
qu’il éprouvait une pitié affectueuse pour nos erreurs. Cette
approche facile avec ses élèves venait d’un singulier mélange
d'objectivité, d’intelligence perspicace, de finesse, d’humour.
J’ai découvert un
autre aspect de l’extrême complexité de sa nature le jour ou
Broccard, prof de géo, nous annonça qu’il avait réussi le
concours d’inspecteur. Poussé par la curiosité et le désir de
voir deux autres profs glisser vers cette voie, nous avons abordé
avec Lombard le sujet avec Sassi et Schläppi . Ce dernier nous fit
comprendre sans l’exprimer son refus du pouvoir, de la gloire, de
la vanité quant à Sassi il me dit que cette fonction ne relevait
pas de son statut , nous éprouvions un profond malaise.
Il y a quelques années
J’ai trouvé son numéro de téléphone et je l’ai appelé
En un cours instant il
m’a identifié et fredonné «je m’appelle Antoine fleur de
pivoine» moment d’émotion. Au sujet du quotidien et de l’arrivée
des nouveaux supports il me glissa
« tout va vite
maintenant c’est l’ordinateur qui sévit, l’autre jour à la
poste on m’a demandé comment mon nom s’écrivait et voyez vous
à chaque lettre énoncée je me disais que pendant ce temps un
ordinateur fait des milliers de calcul»
ROBERTO Professeur de
Français
Très vif, l’homme
fragile ne supportait pas la moindre incartade, de sorte que la
classe restait silencieuse. Il avait une force extraordinaire un
jour il prit l’angle du tableau dans sa main droite et le fit
pivoter. Stupéfiant. Il avait sa classe, sa bibliothèque qu’il
voulait nous faire partager. On y trouvait les classiques, des Contes
et Légendes, Walter Scott, Dickens.
A chaque dictée il
fallait analyser les textes avec des signes « cabalistiques »
disait il. Le verbe souligné d’un trait, le sujet de deux, le
complément d’objet direct entre parenthèses etc… En un instant
la syntaxe se décomposait et devenait architecture faite de signes.
J’étais délivré du souci de chercher des connaissances
concrètes, la géométrie devenait orthographe.
Un jour sans aucune
raison nous avons gravi l’escalier en tapant du pied , bruit sourd
et scandé d’une classe qui marche au pas. Entré en classe
M.Roberto, furieux, hurla «qui a frappé du pied». Devant le
mutisme général il fut pris d’un accès soudain de colère
qu’il exprima brutalement en nous ordonnant de rester debout
les bras en l’air. Michel Defaut est entré après nous, s’est
excusé pour son retard et par réflexe a levé les bras, Roberto
l’exempta de la punition. Exercice douloureux lorsque celui-ci
dure. Au bout d’un moment Chouiet se tordait de douleur, il fut
autorisé à s’asseoir. Nous gigotions en gémissant. Soudain
Roberto se mit à trembler, tituba . Il émit des phrases confuses.
Lentement se cramponnant au bureau il s’affaissa, nous restions les
bras en l’air, médusés sans bouger. C’est Michel qui courut
chercher secours chez Schläppi, celui-ci nous cria
«descendez vos bras» ..
Le prof fut évacué, il avait sombré dans le coma.
SASSI Professeur de
dessin
Très calme, posé,
élégant, il sanctionnait les comportements déplacés en assénant
un coup sec et violent sur la paume ouverte de la main.
GENDRE,
Directeur et professeur d’histoire
Gendre c’était
l’histoire, la mémoire, la contemplation du passé, il
transmettait ce qui aujourd’hui pour une nouvelle jeunesse est le
révolu, l’ancien, le dépassé. Il n’avait jamais accepté «le
honteux traité de Paris» qui vendait la Louisiane , disait-il.
Il commençait ses cours
en interpellant une victime au hasard en lui faisant réciter un
résumé du dernier cours.
Ce jour-là je n’avais
appris que le premier et le dernier paragraphe. Par malchance il
m’interrogea. Je débitais lentement le premier paragraphe, puis
remarquant qu’il était fort absorbé par le spectacle des jeunes
filles qui évoluaient sur le terrain de sport sous la fenêtre,
j’’enchaînais directement avec le dernier paragraphe. Quelques
murmures attirèrent son attention, gratifié d’une bonne note je
rejoignis ma place.
Pouvons- nous oublier le
face à face Gendre – Bourdeau?
Un jour de pluie Castella
Jean Pierre est venu en classe avec un grand parapluie. Durant le
cours Bourdeau glissa quelque chose dans le parapluie. Gendre se rua
vers le parapluie en extirpa un objet enveloppé dans du papier
journal., ses doigts brisèrent l’enveloppe il les regarda en cria
« c’est de la merde»
Si un jour vous croisez
Bourdeau fermez bien votre parapluie
BROCCARD
professeur de sciences
Histoire du hanneton
M Brocard demanda de lui apporter des insectes pour étudier les
coléoptères et en particulier le hanneton, sujet phare d’un cours
de cinquième.
Les
cahiers de sciences naturelles sont originaux, chaque page d’écriture
voisine avec une feuille de dessin ce qui permet d’illustrer le
cours. En début d’année une grande attention est portée à la
tenue et particulièrement les dessins
A
la vue de ce que nous lui avons apporté le prof, s’extasiait,
récupérait le contenu de toutes les boîtes. Sur le marbre
glissaient des gros scolopendres, des lucanes, des capricornes, des
mini-rhinocéros, des bousiers, des carabes de toutes les couleurs,
des cétoines poilues, dorées, une luciole , une sauterelle de 10
cm,
«Le
hanneton c’est un lucane mais sans mandibules, c’est un
capricorne sans ses antennes, c’est une cétoine sans ses poils, »
Il
dessinait sur le tableau noir et le hanneton prenait forme, prenait
vie. Sur mon cahier je m’appliquais à reproduire cet insecte
exotique qui paraissait doté de toutes ces qualités qui
n’appartiennent qu’à ce qui venait de France. Hanneton, que de
voyages évoqués.
Ecole
de météo à Paris , Plus tard. Toutes les fenêtres étaient
ouvertes et l’air frais véhiculait de curieux insectes qui
bourdonnaient dans la pièce. Je demandais à mon voisin «c’est
quoi ces bestioles». Ahuri, incrédule, il me répondit: «Des
hannetons, c’est des hannetons»
Mais
oui si on lui rajoute des mandibules, si on lui rajoute des antennes,
si on le colore ….j’en ai pris un et j’ai retrouvé mon cahier,
ses dessins.
N’oublions
pas Deschamp notre prof de gym , il ne cacha pas sa joie lorsque
Ottan et Houdot rejoignirent l’équipe de hand, et avec quel fierté
il fêta la cinquième place de Bengergoura en finale du challenge du
nombre à Paris ( Le journal des sports , l’Equipe de cette époque
l’avait remarqué)
Les
copains de classe se raréfient , Petit, Vitse, Legrand, Orta,
Lombard, Soyer, Mugneret, Duffaut , Bernot, Ottan, Lillo, Ohmer,
Salort écriront peut être d’autres pages.
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