LES GORGES DE LA CHIFFA

 LE   RUISSEAU   DES   SINGES

 

A 11 kilomètres à l'ouest de Blida, le massif du Tell a été coupé par le torrent de la Chiffa. Pendant près de cinq lieues, la route qui va vers le sud, la voie ferrée qui relie Alger à Boghari foncent à travers cette coupure à pic grâce à d'importants travaux d'art. C'est là ce que l'on appelle les gorges de la Chiffa dont la beauté surprenante jouit d'une réputation mondiale.

On ne saurait passer par Blida sans visiter Le Ruisseau des Singes et les gorges de la Chiffa.

 

On peut faire cette excursion de trois manières, à pied, par la voie ferrée, ou par la roule. Au touriste de choisir selon ses goûts et ses aptitudes. Mais il y a si longtemps que la meilleure façon de voyager ne parait plus être « d'aller à pied » que nous nous en tiendrons aux deux moyens modernes de locomotion rapide : le train et l'auto.

On peut donc prendre le train en gare de Blida, soit pour la station de Sidi Madani, soit pour celle de Camp-des-Chénes. Sidi Madani (11 km.) est beaucoup plus près de l'hôtel du Ruisseau des Singes où l'on peut déjeuner. Toutefois la partie la plus pittoresque des gorges se trouve comprise entre le Ruisseau des Singes et Camp-des-Chênes. Un restaurant confortable à Camp-des-Chênes permet au touriste de déjeuner dans une salle de style hispano-mauresque dont les fenêtres enca­drent un paysage montagneux. De là il faut reprendre la route vers le nord pour voir les gorges sur Sidi Madani où l'on reprendra le train ; le trajet est de 8 kilomètres ; il est très attrayant .

En auto, on sort de Blida par la route Nationale, dite communément route de la Chiffa, qui coupe à tra­vers des orangeries, des plantations en se rapprochant de la chaîne de l'Atlas. On traverse à six kilomètres l'Oued El Kébir, puis le lit élargi de la Chiffa au-dessus duquel est jeté en amont le pont métallique de la voie ferrée.

 

 

 On tourne à angle droit à gauche avant le village auquel le torrent a donné son nom et par une longue allée de platanes, fort bien entretenue bordée d'eaux courantes qui actionnent les turbines d’une papeterie, on monte en rampe douce vers la pittoresque échancrure qu'ont creusée les eaux de déversement du massif.

Après le  Rocher Blanc (10 km.) la route en corniche s'élève capricieusement dans la montagne. Retournez-vous : une vue admirable s'ouvre sur la plaine. C'est là qu'a été construit un nouvel hôtel, le Rocher des Singes pittoresquement décoré, confortablement aménagé, qui semble garder l'entrée des gorges, comme un palais mystérieux. Puis le jour s'atténue légèrement. Le soleil, frappant de biais les hautes parois schisteuses, illumine de grands plans d'éboulement sur lesquels ont roulé jusque dans le lit du torrent soit des cavalcades bruyantes de cailloux, soit d'énormes rocs qui se dressent fouettés par  les eaux claires. On aperçoit de temps à autre dans la profondeur des ravins le double ruban d'acier de la voie ferrée. Les tournants brusques dérobent parfois toute vue. Il semble que la roule finit, coupée, ina­chevée, ouverte sur un précipice. Elle reprend pourtant s'éloignant, se rapprochant du torrent, dominée par de hautes falaises moussues d'où pendent des branches fleuries. Mais à partir de Sidi Madani, elle se rétrécit dangereusement. Il faut ralentir. Deux voitures ont peine à passer de front. Du côté de la Chiffa, un simple petit parapet sert de garde-fou, jusqu'au Rocher Pourri. En face ce ne sont plus qu'escarpements, éboulis, crêtes schisteuses.

 

 

L'horizon est un mur à ,cent mètres, un mur crevassé, tourmenté, bizarrement découpé. On ne voit plus le ciel qu'en levant les yeux.

Un peu avant de parvenir au Ruisseau des Singes, à gauche de la route quarante marches taillées dans le schiste descendent vers une caverne ornée de stalac­tites, dite Grotte des Lions. Il n'y a plus de lions. Tartarin a tué le dernier. Mais il reste la grotte curieuse à visiter

Au  fond   d'une  combe  comme  on   dit   dans   les Alpes, se  dresse l'Hôtel du Ruisseau  des Singes. Sous l'enjambée d'un petit pont, roule en effet un ruisselet tapageur et sur les bords de ce ruisseau une tribu de singes descendus des hauteurs boisées vient, sans trop de  méfiance,  quémander  des  cacahuètes   ou   des  gâteaux que les voyageurs ne manquent pas de leur apporter.

Ces singes sont assez curieux à observer. Les mères portent leurs petits: en sautoir, agrippés sous leurs ven­tres ou suri leurs dos. Les mâles affirment de mystérieuses rivalités.  Ils sont pareils à ceux qui peuplent le rocher de Gibraltar. Cette ressemblance fortifie l'hypothèse de la soudure des deux continents. Ils sont en tout   cas  les   derniers   descendants  de  ces  nombreuses tribus qui autrefois s'ébattaient dans les forêts de l'Atlas.

Robustes, agiles, couverts de poils bruns, le museau légèrement proéminent, le nez aplati, dépourvus de queue, ils remontent aussitôt que le soleil disparaît, vers les hauteurs inaccessibles, principalement sur la rive droite de la Chiffa, à l'embouchure de l'Oued Takselet, où ils ont établi le siège du clan, loin des hommes, en pleine nature sauvage.

Après le Ruisseau des Singes la route tourne, descend en corniche longe le fameux Rocher Pourri dont le nom seul indique le manque de cohésion. Au printemps des cascades blanches jaillissent des schistes fissurés. Les rocs sont tapissés de mousses et de capillaires... Et l’on remonte ensuite, après avoir passé sur la rive droite du torrent vers le petit village de Camp-des-Chênes.

Le retour peut s'effectuer soit par la route, soit par la voie ferrée. Mais quel que soit le moyen de locomotion choisi, à mesure que l'on reviendra vers Blida, on se rendra compte que la coquette cité bâtie au pied de l'Atlas, est bien une oasis de verdure, un centre d'activité, un foyer de civilisation européenne au charme duquel on ne saurait rester indifférent et la meilleure impression que l'on puisse en garder, demeure fixée dans le distique fameux du poète-marabout Sidi Àhmed ben Youcef :

On t'a nommée la petite ville.

Moi, je  t'ai appelée:  la  petite rose...

Puissent ses visiteurs conserver d'elle ce souvenir parfumé.

BERTSCH. Professeur au Collège de Blida