L'Algérie contemporaine illustrée

de Lady HERBERT (1882)

extraits concernant notre ville et notre région

Vous trouverez sur le site ci-dessous la totalité du texte de L.Herbert  

http://aj.garcia.free.fr/index10.htm

et bien d'autres richesses sur

http://aj.garcia.free.fr/

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Avant d'arriver à la Chiffa, nous traversâmes un pont rustique, situé auprès d'une prison militaire, dont les détenus étaient occupés dans une corderie ; puis, tournant brusquement à gauche, nous nous engageâmes dans une gorge étroite, richement boisée, au fond de laquelle coulait un torrent mugissant. Ce site avait quelques traits de ressemblance avec le col du Saint-Gothard. Nous arrivâmes bientôt à une grotte remplie de stalactites et d'aloès pétrifiés, qui, chose bizarre, avaient conservé leur belle couleur verte. Des touffes de capillaires croissaient dans les fentes des rochers, rafraîchies par l'eau qui tombait goutte à goutte de toutes parts. Nous nous arrêtâmes devant une cabane pour admirer un aigle magnifique qu'on venait de tuer : il était d'une envergure remarquable. Cette partie de la gorge se nomme " la Vallée-des-Singes ". Nous aperçûmes en effet plusieurs de ces quadrumanes sans queue, grimpant sur les rochers et se suspendant joyeusement aux branches des arbres qui retombent sur la cascade. 

Une vieille bonne femme, qui tenait un café en cet endroit, avait beaucoup à se plaindre de ces animaux malins, et nous disait en nous montrant son jardin : " Ah! ces coquins, ils me mangent tout! "

La cascade.

Nous fîmes une halte pour laisser reposer nos chevaux, puis nous les remontâmes, et, arrivées au sommet du col, nous vîmes la jonction de l'Oued-Merja et de la Chiffa. Une petite colonie de mineurs exploite en cet endroit des mines considérables de fer et de cuivre. C'est aussi là qu'on prend la route qui conduit à Médéah, station militaire que les Français ont construite sur les ruines d'une ville romaine, dont il reste encore un aqueduc et d'autres antiquités. Médéah est la première de ces places fortes au moyen desquelles les Français se sont assuré la possession comparativement paisible de leurs provinces algériennes. La descente du col pour revenir à Blidah était encore plus belle que  l'ascension : la plaine de la Mitidjah, vue de cette gorge étroite et presque perpendiculaire, ressemblait à un tableau riant placé dans un cadre sombre et grossier. A l'horizon, la Méditerranée brillait au soleil comme une ligne argentée.

Nous n'eûmes garde de quitter Blidah sans aller visiter les célèbres bosquets d'orangers, qui sont très nombreux et d'une beauté inouïe. J'avais déjà vu ceux de l'Espagne, ceux de Cintra, de Menton, du môle de Gaëte et de la Sicile ; j'avoue qu'ils ne sauraient un instant soutenir la comparaison avec ceux de Blidah.

La descente du col.

 

On y trouve des millions d'oranges et de citrons, de grosseurs et de saveurs variées. Nous entrâmes chez le propriétaire d'un de ces jardins, afin de nous régaler d'oranges. Ce brave homme nous apprit que son bosquet n'était planté que depuis dix ou douze ans, et qu'il suffisait de mettre un rejeton dans le sol pour qu'il poussât. Les oranges non assorties valaient quinze francs le mille, et celles du premier choix, vingt cinq francs le mille. Il nous donna une énorme provision de mandarines pour notre voyage, sans vouloir accepter d'autre rétribution que nos remerciements. La récolte avait été si abondante, que les fruits se gâtaient sous les arbres, faute d'être ramassés.

Les allées étaient bordées d'énormes violettes de Parme, dont nous fîmes des bouquets gigantesques, qui embaumaient l'air environnant.

Combien j'aurais souhaité pouvoir transporter dans ce lieu enchanteur les enfants de quelqu'une de nos écoles de Londres, et jouir du plaisir de les voir s'ébattre à l'ombre de ces bosquets et se régaler de leurs fruits parfumés!

Nous nous rendîmes ensuite au haras arabe, qui appartient au gouvernement français. J'y remarquai deux ou trois étalons arabes pur sang et d'assez jolies juments, bien qu'elles eussent le défaut ordinaire d'avoir le paturon trop long. J'appris aussi que les chevaux avaient presque tous été sacrifiés aux besoins de la guerre. On nous montra dans les enclos de jolies gazelles qui paissaient : elles avaient été prises par des officiers dans l'intérieur du pays. Dans le cours de la soirée, j'allai rendre visite aux sœurs de la Doctrine chrétienne. Jusqu'ici le gouvernement révolutionnaire ne les avait point molestées. Elles sont aimées de tout le monde, et dirigent un pensionnat de demoiselles ainsi que les écoles communales, où l'on compte plus de cinq cents enfants pauvres. Ces religieuses sont au nombre de dix-neuf. La mère Saint-Paul, leur supérieure, a une de ces bonnes physionomies intelligentes que l'on a du plaisir à contempler.

Nous partîmes pour Alger le lendemain matin.

Blidah est bien certainement la plus délicieuse petite ville qu'on puisse imaginer : située au pied de l'Atlas, elle offre tous les agréments d'un beau pays de montagnes et de charmantes excursions, qu'on peut faire soit à pied, soit à cheval ; ses abords 

Le tunnel de l'Atlas. - Environs de Blidah.

sont revêtus d'une végétation luxuriante, qu'entretiennent des ruisseaux limpides ; le climat est tout ce qu'on peut désirer ; les loyers y sont pour rien, ainsi que la nourriture ; toutefois il y a un revers à la médaille : les tremblements de terre y sont très fréquents ; l'un d'eux détruisit, il y a quelques années, tous les principaux édifices de la grande place. Malgré cela, les habitants construisent toujours des maisons à plusieurs étages, avec la même insouciance que ceux de Torre del Greco, qui persistent à vivre à la base du mont Vésuve dont les ruisseaux de lave ont si souvent englouti leurs demeures.

Il était huit heures du soir lorsque le nouveau chemin de fer nous déposa à Alger, où nous avions retenu un bel appartement à l'hôtel d'Orient. J'ai rarement vu quelque chose d'aussi magnifique que l'aspect produit par cette ville la nuit. A partir de la Maison-Carrée, c'est-à-dire pendant environ deux lieues, la voie ferrée longe la côte ; et quand, par un clair de lune superbe, on aperçoit Alger avec ses innombrables maisons blanches rangées en amphithéâtre et ses réverbères étagés sur la colline, qui se réfléchissent dans la mer comme autant d'étoiles sur un ciel sombre, on a devant les yeux un spectacle vraiment féerique