BLIDA   

par  Jean de Blida

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BLIDA

 

Le voyageur décrit des cités qu’on admire,

Dressant dans la clarté leurs dômes, où se mire

Comme en un lac d’argent le soleil radieux ;

Fières de leurs créneaux, ces orgueilleuses reines

Etalent les splendeurs de leurs tours souveraines

Et de leurs palais somptueux.

 

Le soir leur met au front des rubans d’étincelles,

Jaillissant de la nuit, millions de prunelles

Qui font presque pâlir les astres de l’azur.

Les rochers et les monts les prennent pour des phares

Et leur mille clameurs éclatent en fanfares

Qui se fondent à l’aube en un chant large et pur

 

Aux éblouissements de toutes ces Ninives,

Je préfère, Ô Blida ! le bruit de tes eaux vives

Qui s’enfuient en jasant dans tes sentiers couverts.

Et que ces villes soient Paris ou Babylonne

Je leur préfère encore l’odorante couronne

De tes orangers verts.

 

Tes bras nus sont remplis de jasmin et de roses ;

Tes grands yeux de velours disent de douces choses

Que chantera partout le poète charmé ;

Et, quand le matin luit, dans la plaine vermeille

Où l’oiseau querelleur poursuit gaiement l’abeille,

On voit les fleurs s’ouvrir sous ton souffle embaumé.

 

Comme les frais édens des jardins des sultanes,

Tu peux, montrer Blida ! tes massifs de platanes,

Tes oliviers ombreux, tes myrtes, tes palmiers.

Et des antres obscurs profonds comme des tombes

Où passent vaguement d’amoureuses colombes

Qu’appellent tout bas les ramiers

 

Quand la brise du soir, doucement importune

Fait flotter tes cheveux sur ton front ; quand la lumière

Traîne sur ton sein nu ses mystiques clartés,

Un sommeil enivrant vient clore ta  paupière,

Et tu t’en vas joyeuse, et bien loin de la terre

Porter aux astres d’or tes divines beautés.

 

Et tout semble dormir, mais, de la nuit obscure,

S’élève tout à coup un triomphant murmure

De soupirs, de baisers, de voix et de chansons,

Et les amants ravis se font mille querelles

Et l’esprit croit saisir comme un battement d’ailes

Qui palpitent dans les buissons.

 

De tes cours qu’ombragent les treilles

Sortent les mauresques pareilles

Aux favorites des Sultans :

Sous la chaste blancheur des voiles,

On peut voir, comme des étoiles,

Resplendir leurs yeux éclatants.

 

Dans l’air pur imprégné d’arômes,

Elles s’en vont, pâles fantômes,

A quelque discret rendez-vous ;

Et sous l’arbre de la fontaine,

Les négresses au sein d’ébène

Les suivent d’un regard jaloux.

 

Lorsque le soir se fait plus sombre,

Le passant écoute dans l’ombre

Chuchoter des serments d’amour :

Tandis qu’aux parfums les plus rares,

Mêlant les fredons des guitares,

Les sylphes dansent jusqu’au jour.

 

Blida ! j’aime tes bois,  tes champs bordés de roses.

Tes jardins opulents, tes forêts d’orangers ;

Pour jouir de ces biens, fuyant leurs cieux moroses,

Arrive chaque année un peuple d’étrangers.

 

J’aime ton bois sacré plein d’ombre et de mystère,

Où la brise se plaint en soupirs infinis ;

Et sous le bananier et l’olivier austère,

Tes coquettes villas semblables à des nids.

 

Tu ris en contemplant tes vignes d’émeraude,

Tes grands blés, que le vent recourbe en vagues d’or

Et l’altière montagne, où le chacal qui rôde

Cherche dans les ravins sa victime qui dort.

 

S’il était quelque part, sur notre terre aride

L’idéal paradis que notre espoir rêva ;

L’abri suave et frais aimé du cœur candide

Il faudrait le chercher dans ton sein, ô Blida !

 

Jean de BLIDA    (30/3/1886)