Compte rendu de la réunion  des Plumitifs blidéens  paru dans "Le Journal" du 17 février 1937.

Document aimablement fourni par Mr P.Riéra

Dimanche, à midi, dans la luxueuse salle de l'Hôtel d'Orient, les Plumitives et Plumitifs blidéens se sont réunis en de fraternelles agapes, sous le signe de la cordialité et de la bonne humeur.

Les convives prirent place, au nombre d'une cinquantaine, autour d'une longue table fleurie et parsemée de violettes et de mimosas.

 

A la table d'honneur, nous avons remarqué, entourant le président, M. Devésa, MM. Duclos, viceprésident du Conseil supérieur du Gouvernement Général, délégué financier, Delahaye, conseiller municipal, représentant le maire, empêché, Coldefy, notaire, Faure, syndic des faillites, Piovanacci, secrétaire du Parquet, Châtelaine, viceprésident de l'Amicale ; Mmes Sesini et Châtelaine.

Au dessert, avec l'or du Champagne pétillant dans les coupes, coula l'éloquence aimable et fleurie des orateurs.

 

Le premier, le président, M. Devésa, prit la parole. Il lut d'abord une lettre de M. Gaston Ricci, maire, s'excusant de ne pouvoir, empêché au dernier moment, participer à ce banquet. M. Devésa pria M. Delahaye de transmettre au maire les regrets de l'assistance: il excusa également l’absence de MM Dachot et Bachir , conseillers généraux puis continua en ces termes :

DISCOURS DE M. DEVESA

Mesdames,  Messieurs,

II paraît qu'un banquet ne va pas sans discours, et je m'en voudrais de faillir à la tradition ; sans vouloir, vous en infliger un trop long qui risquerait de troubler la quiétude d'une bonne digestion, laissez moi vous dire combien je suis heureux de nous voir tous réunis autour de cette table, rompant ensemble le pain de l'Estime, de l'Amitié et de l'Entr'aide.

Si j'ai la mission d'excuser certains de nos membres d'honneur, retenus par des obligations familiales ou diverses et de vous dire en leurs noms, combien ils sont de cœur avec nous, combien ils suivent avec attention nos efforts, notre union étroite, je dois regretter, avec vous, de ne pas avoir ici davantage de Plumitifs et de Plumitives.  Certains n'ont pu venir — le coût d'un banquet est une grosse dépense pour un maigre budget. Dans leur anonymat, ces derniers me chargent d'évoquer leur présence à nos côtés. Je le fais, déplorant profondé­ment leur absence.

Dans une société qui va toujours progressant, tout le monde est à peu près Plumitif ; depuis le jour où le maître consacre l'apprentissage de l'écolier, en lui confiant le porteplume, jusqu'au jour même où ce dernier, pour gagner du temps, emprunte la machine à écrire.

La plume a toutefois la supériorité sur cet instrument moderne, d'être un moyen pour l'être humain, de traduire une partie plus intime de sa personnalité. Elle suit la pensée, la traduit. Selon les individus, elle est fidèle, capricieuse, acerbe ou fantaisiste. Elle est ce trait d'union qui nous a fait nous rassembler ce jour autour de ces agapes. C'est grâce à elle — quoique appartenant à des professions disparates — que nous sommes groupés en Amicale, unis étroitement par une communauté de pensée et d’intérêts corporatifs.

Les bons Employeurs font les bons employés, diton.

Je voudrais que les uns et les autres se pénètrent bien de leurs devoirs réciproques. L'employé ne doit pas être considéré comme une machine humaine dont on attend un rendement maximum inten­sif et continu.

Ce n'est pas un citron que l'on presse pour en exprimer tout le jus et que l'on rejette au loin après en avoir tiré le meilleur. Non !

La tâche délicate de l'employeur doit être paternelle ; il doit savoir intéresser l'employé. Il doit comprendre que ce dernier au plus gros de la besogne a besoin d'un moment de détente et de délassement. Il faut savoir quelquefois fermer les yeux... et je ne crois pas me tromper en disant que ces questions psychologiques étudiées, réunies, formeraient un volume fort intéressant : «L'Art d'être Patron ».

Je m'excuse d'avoir abordé ce point délicat ; je le fais parce qu'il nous a été donné au conseil d'administration de constater que certains employeurs, devant l'âpreté du gain, perdent tout ce qu'il y a d'humain en eux. L'Argent, leur seul Maître.

Et, voyez-vous, cette contingence leur a fait commettre non seulement des erreurs, mais des fautes.

Ce sont ces erreurs, ce sont ces fautes, dont je vous causais qui créent le conflit et qu'il faut éviter. Dans nos réunions du conseil d'administration, nous faisons la part des choses. Nous faisons le point, tout comme le marin. Quand il le faut, nous savons sortir de notre réserve. Si un de nos membres, pour une cause juste, venait, Messieurs les Membres d'Honneur, vous demander aide et protection, je suis certain que vous les leur accorderiez ; non seulement parce que tout ce qui est humain vous est accessible, mais parce que votre cœur grand et juste vous le commandera.

Ce qu'a été l'année écoulée pour l'Ami­cale ? Vous les avez ! Je me résume. Secours, Placement de membres, Bienfaisance, Création de prix destinés à encourager les écoliers de Blida. Règlement de conflits, etc...

Ce que sera l'année 1937 ? Souhaitons avoir un local, comme tous les autres groupements plus chanceux, où nous pourrons, par exemple, à l'aide de cours faits par des personnes compétentes dévouées à notre cause, améliorer professionnellement la condition de nos membres actifs qui désireraient parfaire leur instruction et s'élever dans l'échelle sociale.

Je vous remercie, Mesdames, Messieurs, d'avoir répondu si nombreux à notre invitation.

Merci aux autorités, aux membres d'honneur et à la Presse de leur sollicitude, de leur sympathie. Merci à tous qui n'ont ménagé ni leur peine, ni leur temps, ni leurs conseils et qui m'ont facilité la tâche ! Je bois à vos santés, à celles de vos familles et à la prospérité de l'Amicale.

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M. Delahaye succéda à M. Devésa.

DISCOURS DE M. DELAHAYE

Mesdames, Messieurs,

Retenu au dernier moment par des empêchements imprévus, M. le Maire de Blida a bien voulu me charger de vous en exprimer ses regrets, de l'excuser et de le représenter auprès de vous.

Rien n'aurait su m'être plus agréable que cette mission flatteuse, car parmi toutes les sociétés qui existent à Blida, l'Amicale des Plumitifs est l'une des plus sympathiques, d'abord parce qu'elle est composée de personnes qui, prises individuellement, sont toutes très aimables et puis parce qu'on ne peut avoir que de la sympathie pour le but que poursuit notre groupement.

Réunir tous ceux dont l'instrument de travail est un porte plume, grouper tous ces modestes travailleurs dont la collaboration est si précieuse pour leurs patrons ou pour leurs chefs, resserrer les liens d'amitié qui doivent exister entre eux, leur procurer des distractions saines, venir en aide à ceux que la maladie, l'âge ou l'adversité mettent dans une situation pénible : en un mot, prendre des individus faibles dans leur isolement pour en faire une famille unie et forte, comment les fondateurs de votre société auraient-ils pu avoir une ambition plus noble ? Comment vous mêmes pourriez vous poursuivre un but plus louable ?

Et comment, dès lors, pourriez vous ne pas avoir les encouragements de toutes les autorités et de toute la population ?

Me faisant l'interprète du Maire, c'est donc la vive sympathie de la municipalité que je vous exprime en levant mon verre à la santé des Plumitifs blidéens et de leurs familles et à la prospérité de leur Amicale.

 

DISCOURS DE M. DUCLOS

 M. Duclos  parla ensuite. Il est difficile de rapporter mot pour mot son improvisation comme il est impossible d'en reproduire, noir sur blanc, le charme. Avec l'aisance et l'aimable éloquence que chacun lui reconnaît, M. Duclos consacra ses premières phrases aux plumitives « qui, désertant pour quelques heures le greffe, l'étude ou le bureau, apportaient à ces agapes fraternelles la grâce et le charme de leur présence ».

Il souligna ensuite, en termes très heureux, l'importance des fonctions des plumitifs dans les services administratifs. « Si vous vous arrêtiez un jour de travailler, dit il, les greffes seraient arrêtés, les études d'avoués ou de notaires fermées, les bureaux mêmes d'avocats ne fonctionneraient plus qu'avec difficulté. Les patrons confesseraient alors que vous êtes des outils indispensables « . Or, on ne peut qu'avoir soin de tels outils et la réponse du poète Villon au roi Louis XI est bien faite, pour préciser cette nécessité : « Celui qui se sert de la lampe, au moins de l'huile y met « .

« A l'heure où souffle sur le pays un vent de justice sociale », personne ne doit être oublié. Il est pénible de constater que malgré les nombreuses années de services dévoués, la situation des plumitifs demeure suspendue à un fil que le moindre événement peut briser. Le moment est donc venu de faire ce qu'ils attendent tous : leur fonctionnarisation. En cela, le rôle de l'Amicale est important, il lui appartient d'étudier la question et de présenter des résolutions nécessaires et justes. Ces résolutions, déclara en substance le distingué délégué financier, je les encouragerai et je pousserai à leur réalisation, car de même que nous devons penser aux retraites d'avoués, nous devons, surtout nous  souvenir de ceux qui n’ont pas de revenus annuels suffisants pour mettre leurs vieux jours à l'abri du besoin... Nous penserons aux plumitifs.

M. Duclos se dit, en outre, heureux de voir l'Amicale ainsi composée et dirigée; elle a toute aptitude pour provoquer l’amélioration des plumitifs.

Puis, levant son verre, il but à la santé plumitives et à leur charme ; aux jeunes et aux vieux plumitifs (vieux non par l'âge, mais par un long exercice du métier délicat de la plume), parmi lesquels il se plut à nommer le doyen de l'assemblée, Riéra, qui, depuis si longtemps, donne le plus bel exemple, de modestie et de grande conscience professionnelle ; enfin, à l'Amicale, afin que ses efforts soient récompensés par une belle moisson d'heureuses réalisations.

Cette improvisation fut entrecoupée par de nombreux applaudissements. Et l'on passa aux chansons dans lesquelles excellèrent, pour le plus grand plaisir des convives, Mlle Draï, M° Coldefy, etc...

Une sauterie très animée clôtura joyeusement cette réunion amicale dont le succès constitue la plus belle récompense pour les organisateurs. Qu'ils en soient vivement félicités.

 H. de Th.    -    Le Journal 17 février 1937