Intempérance

 

Rappelle-toi les folles joies

de nos visites au mozabite

dans la ruelle des hirondelles

un magasin plutôt un coin

où la lumière poussait de claires

langues gourmandes sur les offrandes

hautes de drap tout un amas

multicolore dans un essor

de manches floues en satin doux

à bout de bras les cintres plats

portant des peaux de calicot

rêvant cousettes qu'un corps s'en vête.

On choisissait ce qu'il plaisait

au brun vendeur fort bagouleur

de nous laisser dans l'air épais

persuadées avoir trouvé

la bonne aubaine et l'indigène

devait sourire de nos plaisirs

renouvelés à acheter

son linge fin sans nul besoin.

Nous n'osions pas côtoyer la

chaste mosquée aux tours nacrées

fichées dans l'âme d'un pur Islam

et nous passions riant tout rond

jetant un œil sur l'eau du seuil

et notre envie sur l'interdit.

D'un sous-sol d'ombre montait un nombre

impressionnant de mots chantant

qu'un gai piano versait à flots

il stoppait net sur des claquettes

mettant bon ordre dans le désordre

d'un babillage rien moin que sage.

Y penses-tu à cette rue

où nous perdions notre passion

d'adolescentes intempérantes ?

Un oiseau chante toujours sa lente

mélodie bleue dans l'angle creux

où ma mémoire faite le troittoir.

 

 

Paule Domenech