Intempérance
Rappelle-toi les folles joies de nos visites au mozabite dans la ruelle des hirondelles un magasin plutôt un coin où la lumière poussait de claires langues gourmandes sur les offrandes hautes de drap tout un amas multicolore dans un essor de manches floues en satin doux à bout de bras les cintres plats portant des peaux de calicot rêvant cousettes qu'un corps s'en vête. On choisissait ce qu'il plaisait au brun vendeur fort bagouleur de nous laisser dans l'air épais persuadées avoir trouvé la bonne aubaine et l'indigène devait sourire de nos plaisirs renouvelés à acheter son linge fin sans nul besoin. Nous n'osions pas côtoyer la chaste mosquée aux tours nacrées fichées dans l'âme d'un pur Islam et nous passions riant tout rond jetant un œil sur l'eau du seuil et notre envie sur l'interdit. D'un sous-sol d'ombre montait un nombre impressionnant de mots chantant qu'un gai piano versait à flots il stoppait net sur des claquettes mettant bon ordre dans le désordre d'un babillage rien moin que sage. Y penses-tu à cette rue où nous perdions notre passion d'adolescentes intempérantes ? Un oiseau chante toujours sa lente mélodie bleue dans l'angle creux où ma mémoire faite le troittoir.
Paule Domenech |