Vingt ans après...


Au Bois Sacré des souvenirs, douce Ourida,
Tu nous convies vingt ans après, petite rose.
Petite ville aimée de tous, chère Blida,
Loin de nous, tristement, tu te métamorphoses.
Pendant les années noires a soufflé la tempête,
Arrachant à jamais tes pétales à la France,
Balayant d'un seul coup les lieux de notre enfance,
Les neiges de l'Atlas et Chréa sur sa crête
Et cette Mitidja qui, dès l'adolescence,
Déversait sa jeunesse avec ses espérances
Dans le creuset studieux du Lycée Duveyrier.

Enfants de Marengo, d'EI-Affroun ou d'ailleurs,
Vous vous souvenez tous de Monsieur Périllier,
De Leblond, de Vergniaud ou de Frimigacci,
Sévères ou paternels, convoquant au parloir
L'interne qui faisait du chahut au dortoir
Ou qui avait sauté le mur en tirailleur.

Les cours d'histoire étaient, avec Zannetacci,
Affectueusement surnommé " Mimosa ",
Un moment apprécié, une heure sans souci
Après un cours de " maths " ou un thème latin
Sous l'oeil de Lubrano ou de l'ami Bretin.
On rêvait à Fouka, Casti ou Tipasa
Ou bien l'on écoutait, prisonnier du récit...

Et Charletty ? ce philosophe original
Qui montait en calèche, boudant la " Micheline ",
Pour se rendre à la gare en lisant son journal ?
Tous les arabisants auront le souvenir
Du très digne Dinah et du père Djeddou ;
Ceux qui, avec Desprez, traduisaient " Le Roi Lear "
Prêtaient distraitement l'oreille au bruit si doux
Des arbres exotiques de la Cour d'Honneur
Effleurés par la brise alanguie de chaleur.

En allemand aussi les cours n'étaient pas tristes :
Minguet et son accent de Tarbes ou Carcassonne
Apportaient le soleil dans une langue austère ;
Colinet-le-précieux la rendait moins arrière ;
D'autres maîtres encore et dont la voix résonne,
Surent faire de nous d'honnêtes germanistes.

J'ai gardé pour la fin la silhouette fine
D'un professeur de lettres admiré des élèves :
Mains dans les poches, en complet gris, il souriait,
Dégingandé, l'oeil myope et bleu rempli de rêve
Caché par des lunettes à monture d'acier.
Oui, malgré ses colères, il adorait les gosses :
Son chapeau trop petit sur des cheveux en brosse,
Bien sûr, c'est Péquignot, Armand pour les troisièmes,
Cordial, intelligent et la culture même.

Tant d'années ont passé... Mais pour quelques instants,
Mémoire, montre-nous le kiosque et son palmier...
Et, menant au lycée, la rue Albert Premier...
Tout est si proche encore, efface donc le temps,
Laisse-nous donc humer orangers, citronniers,
Et les " Galants de nuit " du boulevard Bonnier,
Le jasmin, les rosiers et les mille senteurs
De notre terre à tous l'Algérie du bonheur.


Pierre DEVESA,
Mai 1982