Le Petit Robinson- les Boulomanes – Le tapis vert

 

Le premier morcellement de la propriété Gonin, où se trouve le Pin historique, a été affecté, il y a de nombreuses années, au plaisant établissement de la porte d’Alger dénommé : Café du Petit Robinson.

Il doit ce nom à ce que son premier propriétaire eut l’idée d’aménager un plancher entre trois grosses branches d’un frêne – peut être celui des pendaisons ?- sur lequel furent placés une table et des bancs ; le tout entouré d’un garde fou rustique. On y accédait au moyen d’une petite échelle de meunier.

Les amateurs qui voulaient se donner un moment l’illusion d’être des "Robinson Crusoë", protégés de la sorte contre des fauves imaginaires, y dégustaient leurs apéritifs en toute quiétude et dans un cadre champêtre ; de plus ces privilégiés dominaient le « vulgum pecus » ce qui a toujours été dans les goûts de l’homme ; ce cafetier était psychologue.

Cette bizarre installation n’existe plus mais il n’en reste pas moins le nom de « Petit Robinson » et aussi ses orangers, ses fleurs et ses tonnelles, recouvertes de jasmin et de chèvrefeuille qui font de cet établissement un des coins les plus agréables de la banlieue blidéenne.

 

 

Le petit Robinson à Blida

 

Au milieu du jardin se  trouve un frêne qui aurait plus de trois cents ans d’existence et qui a été consacré « marabout » par les musulmans . Ils y viennent encore en pèlerinage et les très anciens du pays prétendaient que lorsqu’un condamné à être pendu pouvait s’échapper de ses gardiens qui le menaient au supplice et toucher cet arbre sacré, il se trouvait de ce fait gracié.

C’est au « Petit Robinson » que la belle phalange des boulomanes qui honore Blida dans de nombreux concours a pris son essor. En effet les premiers boulomanes prirent longtemps leurs salutaires ébats à côté de cet établissement, sur le boulevard Malakoff.

 

Personne ne s’en plaignait, pas même les platanes de ce boulevard qui reçurent plus d’une blessure dont on peut constater les glorieuses cicatrices à leur pied. Que voulez-vous ? lorsque le cochonnet se trouve où il se trouve et qu’on pointe, on est tout à son œil, tout à son bras, tout à ses enjambées et tant pis pour l’arbre qui est dans l’axe du jet de boule !

Mais nous devons à la vérité de dire que les platanes, malgré trous et verrues se portent toujours à merveille.

Ce sport si sage, si hygiénique et si captivant n’a plus que quelques fidèles au « Petit Robinson », car après s’être transporté pendant quelque temps sur le boulevard Beauprêtre – les platanes et les portes des villas en bordure s’en souviennent ! il occupe aujourd’hui un magnifique boulodrome à l’ancien marché aux bestiaux à côté des halles aux tabacs.

Là, il peut se développer avec tout l’espace désirable, sans aucune gêne pour la circulation, sur un terrain aplani à souhait et sous de frais ombrages.

Une très intéressante société s’est formée, dont le fondateur et premier président fut notre regretté collègue au conseil  municipal : Mr Frédéric Vidal. Elle compte aujourd’hui de très nombreux adhérents et des joueurs de premier ordre qui, par de nombreux succès dans les concours organisés dans différentes localités, font honneur à la Ville des Roses.

 

De l’autre côté du « Petit Robinson » on remarquait une très belle et très soignée orangerie qui appartenait à une famille des plus estimées de la ville dont le chef, Mr Auguste François, mort récemment après avoir créé à Mouzaïaville un très beau domaine et appartenu au conseil municipal de Blida, n’a laissé dans cette ville que des regrets.

Dans cette orangerie avait été édifié, il y a à peu près un demi siècle, un théâtre d’été qui portait le nom de « Tapis Vert ».

 

Théâtre du Tapis Vert à Blida

 

On y accédait par un portail et une belle allée de platanes qui existent toujours ainsi que le grand hangar qui servait de salle de spectacles ; plus tard il fut utilisé pour l’expédition des oranges.

Sous ce hangar se trouvaient : les fauteuils d’orchestre, les premières et les secondes et de chaque côté, des loges ou plutôt des box en plein air. Quand aux détenteurs de billets de circulation ils pouvaient s’attabler dans le jardin, de chaque côté et consommer des rafraîchissements, tout en se délectant de l’audition de bonne musique.

Les excellentes troupes du théâtre municipal d’Alger y donnaient pendant tout le cours des étés les opérettes et opéras-bouffes qui étaient en vogue à cette époque ; d’Offenbach : La Belle Hélène, Orphée aux enfers, les Brigands, La Grande Duchesse de Gérolstein, Barbe Bleue, La Péricole, la Jolie Parfumeuse ; de Lecocq : les Cents Vierges, la fille de Madame Angot, Giroflée, Giroflat, etc, etc. Les spectateurs étaient très nombreux car la garnison était à ce moment importante et l’exode estival des habitants vers la France, les plages et les montagnes algériennes très limité.

On affluait donc vers ce délicieux théâtre pour y jouir, en dehors de spectacles attrayants, de la fraîcheur de ses jolis jardins et quant à la jeunesse, ces belles soirées d’été se prolongeaient ensuite dans un plaisant vide-bouteilles qui se trouvait sur la route de la Zaouïa, à gauche en descendant et qui dénommait : Le Bel Ombrage ou le Petit Drapeau.

Cet établissement avait la réputation de servir d’excellentes soupes à l’oignon qui se consommaient sous de gracieuses tonnelles dans une atmosphère embaumée par ses jardins fleuris et tout particulièrement par les fleurs de très beaux magnolias qui s’y trouvaient.

Une partie de l’orangerie François avait été louée à la société musicale des « Amis Réunis » qui, par ses propres moyens, y avait fait construire une très jolie salle d’études et de fêtes ainsi que des dépendances dans l’agréable jardin sui l’entoure.

Depuis quatre ans cette parcelle est devenue la propriété de la commune qui la met gratuitement à disposition des « Amis Réunis » en remplacement de la subvention qu’elle lui allouait précédemment pour son école de musique.

Cette belle société qui a la bonne fortune d’avoir à la tête de sa musique un maître musicien de premier ordre et dans l’âme, Mr Zacconi, mérite cette subvention car elle rend de signalés services à nos jeunes gens et entretient une musique très appréciée des blidéens.

La partie de l’orangerie François où se trouvait le théâtre du Tapis Vert a été vendue à un commerçant indigène qui y installera, dit-on, une manufacture de tabacs.

Commandant ROCAS