LE TRICOT

J'ai grandi pendant « la drôle de guerre ». Mon adolescence scolaire se passa à l'EPS de BLIDA

A cette époque, en plus des matières scolaires habituelles, on nous y enseignait, obligatoirement et non en option: l'Enseignement Ménager. Madame Téxeire fut notre professeur en cette matière

A l'école de l'Orangerie, depuis le cours moyen, on nous apprenait déjà à faire des ourlets ; des coutures simples et rabattues ; des surjets ; des reprises ; à poser des pièces ; à coudre des boutons ; et même des points de broderie : tels le point de piqûre, de tiges, d'épine, de croix, de bourdon ; ainsi que des jours simples et de Venise.

A l'EPS, madame Téxeire perfectionna nos rudiments de couture et de broderie. Elle y ajouta : la coupe, et la confection de brassières, de bavoirs et de chemises pour bébé, (qui me furent utiles par la suite). Elle essaya de nous préparer à notre futur état d'épouse, de mère, et de femme d'intérieur, (on ne disait pas encore de femme au foyer), le plus agréablement possible.

Elle devait nous montrer comment confectionner nos propres vêtements, mais la guerre vint interrompre le déroulement normal de ses cours. Ceux-ci se transformèrent en atelier de tricot pour nos soldats.

On nous distribua de gros écheveaux de laine de couleur kaki, et nous dûmes tricoter pull-overs et chaussettes militaires.

Voyant que l'hiver approchait, pensant que notre Armée aurait un besoin urgent de ces lainages, pour en accélérer l'exécution, notre professeur morcela le travail. Pour la confection de chaque pull-over une élève en tricota le dos, une autre le devant, et deux autres pour chacune des manches ; de même, une élève tricota une chaussette et une autre fit la deuxième, nous faisions les chaussettes sur deux aiguilles au lieu de cinq, ce qui rendait le travail plus facile, donc plus rapide.

Effectivement, nos ouvrages avancèrent plus vite que si chaque élève avait dû tricoter seule un pull entier ou une paire de chaussettes.

Mais catastrophe ! Quand toute fière de son travail, chacune de nous apporta son élément de pull-over ou de chaussette à madame Téxeire, pour qu'elle puisse les assembler en un tout, nous nous aperçûmes que, ni le professeur ni aucune de nous,(car malgré nos quatorze ou quinze ans, nous savions toutes tricoter), nous n'avions pensé que nous n'aurions pas la même façon de tricoter. Les unes présentaient un ouvrage fait au point « serré » ou même « très serré », d'autres au point « lâche » ou même « très lâche »

II en résulta que nos propres pulls se retrouvaient avoir des dos pour obèses et des devants étriqués, et vice versa, avec une manche courte et l'autre longue. Il fallut trier parmi tous ces morceaux, ceux qui pouvaient s'assembler à peu près convenablement, mais on voyait bien que l'ouvrage n'avait pas été exécuté par la même personne. Pour les chaussettes, ce fut moins grave : on pouvait en faire passer quelques-unes pour des mi-bas ou des socquettes.

Devant cet échec, madame Téxeire n'insista pas. D'autant plus, que la guerre éclair de 1939-1940 venait de s'achever. Et quand elle reprit deux ans plus tard, le paquetage américain dont fut dotée notre Armée contenait tous les lainages souhaités.

Notre Armée n'avait plus besoin de nous.

Mme BORNAND Francine   née RIPOLL