Histoire du théâtre à BLIDA

 

 

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Vous trouverez ci-dessous une compilation de textes sur le théâtre à Blida, ils ont été retrouvés dans la collection du TELL (1868-1961) qui se trouve à La Bibliothèque Nationale de France à Paris. Les informations prises en compte ont été vérifiées. Dans un texte écrit sur "BLIDA", Elissa Rhaïs situe le Tapis Vert avenue de la gare, cela n'a pas pu être confirmé.

Le Théâtre   à   Blida

 

 

La nécessité d’avoir un théâtre s’est fait ressentir relativement tôt à Blida. Aussi, dès 1853, la municipalité s’est penchée sur le  sujet.

Malheureusement, le projet ambitieux qu’elle avait conçu était d’autre mesure que les ressources dont elle pouvait disposer. Elle n’attacha pourtant pas une grande importance à  cet inconvénient et crut pouvoir y obier en chargeant l’architecte de dresser son plan avec devis et cahier des charges, de manière à avoir un théâtre grand, spacieux, bien aménagé et pas cher. L’architecte fit son travail dans ce sens, l’administration supérieure l’approuva  sans rien y toucher et l’entrepreneur adjudicataire se mit résolument à l’œuvre. La charpente fut bientôt placée sur les quatre murs. L’édifice, vu de l’extérieur, était suivant le désir de la Municipalité, grand et spacieux. C’est alors qu’on s’aperçut  que les murs n’avaient pas l’épaisseur voulue : que chose plus grave, les colonnettes pleines destinées à supporter le poids énorme des trois galeries superposées, ne présentaient à la compression qu’une force de résistance tout à fait insuffisante, et qu’enfin  les autres matériaux étaient à l’avenant. Le théâtre construit avec de tels éléments devait sans doute manquer de solidité.

La Municipalité, stupéfaite, fit arrêter les travaux et, par le jugement du Tribunal de Blida qui intervint entre elle et l’entrepreneur, elle apprit que l’idée malencontreuse d’avoir voulu un théâtre à bon marché lui coûtait une centaine de mille  francs. Quant à l’édifice  inachevé, il passa à la postérité sous le nom d’ancien théâtre. Il fut le monument admiré au milieu d’une double rangée de platanes sur la place de l’Orangerie. Et après avoir, malgré sa faiblesse de construction, résisté bravement à tous les coups de vent et aussi au terrible tremblement de terre du 2 janvier 1867, ce bâtiment fut utilisé comme salle de répétition pour les sapeurs pompiers et comme remise du matériel des fêtes. Il servit aussi de prison civile  avec plus de 400 détenus à une certaine période. On se doute que cette usage déclencha des réactions parmi les habitants du quartier qui multiplièrent les pétitions pour sa fermeture. Il a été démoli en décembre 1886 pour laisser la  place à de magnifiques locaux scolaires (école maternelle et école de filles)  qui eurent pour nom successivement DUCOIN, puis DUCOIN CORMAY

Le public que la tentative malheureuse de la Municipalité avait laissé indifférent, réclama plus que jamais un théâtre.

Satisfaction lui fut donnée par le propriétaire des Bains froids qui fit construire dans son établissement, une vaste salle de spectacle, sur l’emplacement qu’occupa l’institution des Soeurs de la Doctrine Chrétienne. Dans cette salle, au milieu  d’un charmant jardin, une troupe composée d’artistes et d’amateurs donna de nombreuses représentations auxquelles assistait un public assidu.

Si la porte El-Rabah possédait cette coquette salle de spectacle, la porte El-Sebt avait la « Farfouilleuse » et la porte d’Alger le « Tapis Vert ». Dans ces deux dernières salles, on dansait ferme le dimanche ( bal de nuit à partir de Pâques) et en carnaval plusieurs fois par semaine. Soldats et civils, en vrais disciples de Terpsichore, s’y livraient même souvent à un chahut effréné, qui permettait aux donzelles de joyeuse vie de lever le pied à hauteur du menton, à la grande joie de la foule de curieux. Quel heureux temps ! c’était bien l’âge d’or de Blida.

 

 

 

 

Le Tell du 2/08/1865

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Citons quelques unes des œuvres représentées durant la saison 1868  sous la direction de M.BEYSSON :

« La joie dans la maison, Le lait d’ânesse, La servante ou l’empoisonneur du val Suzon, Orphée aux enfers, Le coucher d’étoile, Les méprises de LAMBURET, Jeanne qui rit et Jeanne qui pleure,

Les marquises de la fourchette, Un chapeau de paille d’Italie, Le joueur de flûte, LICHTEN et FRITZCHEN, Le monstre et le magicien, Les rendez vous bourgeois » : belle saison théâtrale en vérité.

La Farfouilleuse termina ses jours dans un violent incendie et on verra plus loin le destin du Tapis-Vert.

Si nous ajoutons aux divertissements que l’on pouvait prendre extra-muros, quelques soirées amusantes et quelques concerts donnés en ville dans les principaux cafés, on aura la somme des distractions que l’on trouvait dans la cité des Roses. Ce n’était certes pas suffisant pour Blida qui , à cette époque, était le chef-lieu  de Sous-Préfecture et le siège de la Division militaire d’Alger.

Les ressources pécuniaires étaient loin d’y faire défaut : les employés des administrations jouissaient de traitements élevés, les ouvriers gagnaient de bons salaires, le commerce local était des plus prospères. Mais si l’aisance régnait à peu près dans toutes les familles, une seule chose manquait aux blidéens : un théâtre pour passer agréablement les longues soirées d’hiver.

On le demanda sur tous le tons, mais la municipalité – en présence de l’énormité des dépenses que nécessitait la construction d’un nouveau théâtre – fit longtemps la sourde oreille et usa d’atermoiement. Elle finit enfin par trouver un sauveur en Pascal LAMBERT, qui voulut bien, moyennant de bonnes promesses, se charger de faire construire un théâtre à ses frais. Il fit l’acquisition d’un immeuble sur la place d’Armes et confia le soin à MM BERRETA et PATRICOT, de le transformer en théâtre.

 

 

Le Tell du 18/01/1886

 

 

 

La besogne fut menée rondement  et le 1ier  octobre 1887, le théâtre fut remis à M.BRUNET, qui en avait obtenu la direction.

Ce fut un événement. La population civile et militaire fut dans la joie ; la Municipalité, prise par un élan de générosité, vota une subvention assez ronde au directeur, et le général YUSUF, commandant la Division militaire, donna ordre à son chef d’Etat-Major, le colonel SPITZER, de mettre à la disposition de M.BRUNET des musiciens, des choristes et des figurants.

La troupe engagée par le directeur n’était pas nombreuse. Elle se composait d’une forte chanteuse, d’une chanteuse légère, d’un fort ténor, et du directeur lui-même, qui était selon le cas baryton ou basse chantante. Elle ne tarda pas à s’augmenter d’un ténor léger, qui venait d’être refusé à Alger. L’orchestre composé d’une quinzaine de bons instrumentalistes, avait pour chef un musicien de grand talent.

C’est avec ces éléments que M.BRUNET parvint, pendant les deux premières saisons, à faire jouer non seulement les principaux opéras-comiques, mais aussi « La Favorite », « La Juive », « Robert le Diable », etc…

Pendant la troisième saison, le public se lassa de voir et d’entendre toujours les mêmes artistes et fréquenta peu le théâtre. Le départ de la Division militaire (1), appelée à Alger, y fit le vide complet.

 

 

L’année suivante, M. FRANCOIS, propriétaire du Tapis-Vert, en prit la direction et fit jouer par sa troupe bien composée le drame, la comédie et le vaudeville. Une artiste du plus grand mérite, Mme ALICE –que le colonel ARCHINARD avait pris sous sa protection et qu’il épousa plus tard- fut engagée et obtint de grands succès. C’est pour elle que le colonel composa une charmante comédie : «  La jeunesse de Chamfort ». Mme ALICE costumée en jeune homme remplit le rôle de Chamfort et s’en acquitta avec son remarquable talent. La saison finie, M.FRANCOIS, en homme bien avisé, fit compléter réaménager la salle de bal et dans son établissement devenu théâtre de plein vent, il inaugura une saison d’été qui dura de fin mai à fin août. Un public nombreux assista régulièrement aux représentations – heureux d’aller, après la chaleur accablante du jour, respirer sous les orangers du Tapis Vert un air frais et embaumé et de passer une soirée des plus agréables (2). Le Tapis-Vert eut d’excellentes troupes qui firent son succès. Au bout de quelques années, il cessa d’être un théâtre pour devenir entrepôt de bois de construction.

Cependant, le pauvre abandonné de la place d’Armes qui était resté, comme on dit sur les bras de son propriétaire, passa entre les mains d’un entrepreneur de bals publics et termina sa malheureuse existence en entrepôt de blés.

Blida était encore sans théâtre.

A cette époque, l’importance de la population et la situation financière de la commune ne permettait pas d’avoir une troupe sédentaire spéciale.  D’autre part, il n’existait de  grandes tournées comme celles qui parcourent  aujourd’hui la Province et l’Afrique du Nord. Les grandes villes  seules pouvaient s’offrir le luxe de faire venir, de loin en loin, en représentation, des artistes en renom de la Métropole. Blida n’avait pas une importance suffisante pour attirer ces vedettes. La nécessité d’un Théâtre  municipal ne se faisait donc pas sentir trop vivement.

Blida ne manquait d’ailleurs pas complètement de représentations théâtrales.

Il s’était formé un groupement de jeunes gens, qui sous le titre « Société des Amateurs Blidéens », jouaient la comédie et l’opérette. Cette société s’est installée tout d’abord dans un local de le rue de la Plaine (rue Chanzy actuelle), occupé par la suite par l’ébénisterie SALVANO. Un peu plus tard, M. CLOTAR, un commerçant de la ville,  fit construire pour elle, avenue de la Gare, un autre local que l’on appela « Le Prado ».

Sous le nom de « Société des Beaux Arts », un autre groupement similaire se fonda quelques années plus tard et aménagea une seconde salle de spectacles, également avenue de la Gare, presque en face du Prado, dans un immeuble BONNERY devenu plus tard la « Brasserie Tabarin ».

 

Le Tell 27/02/1892

 

« Amateurs Blidéens » et « Beaux Arts », pleins d’une belle émulation, rivalisaient d’efforts pour donner à leurs concitoyens de bonnes représentations et leur interprétation du répertoire alors en honneur ne le cédait en rien à celle des théâtres les plus réputés.

Ces deux n’avaient de Théâtre que le nom ; en réalité, c’était de simples salles de spectacles avec une scène et des chaises.

La « Société des Amateurs Blidéens » disparut la première.

Les « Beaux Arts » persistèrent plus longtemps. La société eut la bonne inspiration et le bonne fortune de s’attacher un vieux ménage d’artistes qui remplirent les fonctions de professeurs d’art théâtral, de régisseur et de metteur en scène.  A l’occasion, ces deux anciens reprenaient l’emploi de leur jeunesse et leur présence sur le plateau donnait aux amateurs l’entrain des artistes professionnels.

En 1896-1897, la Municipalité fut d’avis que l’absence d’un théâtre municipal constituait une lacune qu’il fallait combler.

On décida de remettre en état l’ancien théâtre de la place d’Armes et de le transformer.

La chose n’allait pas toute seule, il y eut au conseil municipal des débats passionnés. Les adversaires du projet faisaient valoir tous les inconvénients qui ont été signalés plus haut et insistaient notamment sur les risques d’incendie. Dans le feu de la discussion, un orateur, partisan des travaux proposés, déclara : » Un théâtre qui se respecte brûle tous les dix ans. Et si le nôtre brûlait, ce serait une excellente chose pour la commune, car elle permettrait d’en construire  un neuf  avec l’indemnité d’assurance « . Ces paroles ne figurent probablement pas au procès verbal de la séance, mais elles ont été prononcées à haute et intelligible voix.

Le Maire l’emporta et le projet fut adopté. L’entrepôt de grain fut transformé de telle façon qu’il devint une petite salle coquette, ce qu’il est convenu d’appeler « une petite bonbonnière ».

 

 

Pour assurer l’aération de la salle et lui donner un peu de fraîcheur, on fit un plafond à jour, communiquant avec un lanterneau construit sur la terrasse.

Pour parer  au danger d’un sinistre, on créa   des dégagements à  travers la maison voisine et l’on organisa un secours incendie si complet que les mauvaises langues purent dire » Si le feu prenait au théâtre, pas un spectateur ne se sauverait : aucun ne serait brûlé mais tous seraient noyés. » Un petit incendie causé par une séance cinématographique  se produisit le 3 juiin 1903 mais sans gravité

Par la suite, ce grand secours fut complété  par un toboggan, sorte de glissières partant du foyer, pour aboutir sous les arcades, par des échelles partant du balcon et par une manche humaine, gros tuyau de toile que l’on fixe  au parapet de la terrasse et par laquelle les spectateurs, fuyant  l’incendie, peuvent s’engager les pieds en avant pour se laisser couler mollement jusque sur la place.

Tout ce dispositif fut essayé un jour, au cours d’une manœuvre d’incendie exécutée par les tirailleurs. On peut imaginer la joie des yaouleds de la place qui grimpaient  à toutes jambes les escaliers pour se laisser glisser par le toboggan ou par la manche.

Le Théâtre de la Place d’Armes ainsi rénové a connu de fort bonnes saisons, notamment sous les directions de MM. FERRARI, DAVENAY et ANDRAL.

On eut même une représentation de l’Aiglon en 1939.

Cependant les dernières grandes transformations dataient de 1898. Aussi, la municipalité au regard de la vétusté de l’édifice interdit son utilisation le 23/6/1949 et  lança un appel d’offre pour la restauration de celui-ci. Elle établit un cahier des charges précisant que la salle devrait recevoir 650 spectateurs, et qu’on pourrait aussi bien y jouer la comédie, que recevoir des spectacles de variété et assister à des séances de cinéma.   Ce sont MM GOMEZ et PANCRAZI  qui furent les heureux concessionnaires  moyennant un bail de 18 ans.

Après 6 mois de travaux, en décembre 1949, le théâtre renaissait sous le nom de CAPITOLE.

Ce jour là (10/12/1949), après l’inauguration officielle en présence de nombreuses personnalités, une séance cinématographique permit aux de voir le dernier film du regretté RAIMU « Les inconnus dans la maison ».

Le premier spectacle de variété proposé au public fut la célèbre danseuse espagnole MANUELA DEL RIO.

 

Désormais, le Capitole allait offrir aux blidéens de nombreux spectacles et permettre la venue de nombreuses vedettes dans le cadre des JMF ou du ciné-club en plus de ses activités régulières de cinéma.

 

(1): On lira les raisons du départ de la division à Alger

(2): Le quartier de la porte d'Alger était vraiment destiné aux spectacles de plein air car on y trouvera plus tard le cinéma EDEN en plein air.