Jean NAUD (1931-2011)

C'est Françoise B., une amie qui m'a fait connaître  le livre de Jean NAUD  relatant son raid sur Tombouctou en 1986.  Je n'ai pas eu le temps de faire sa connaissance car il vient de nous quitter, mais j'ai eu le plaisir de le suivre tout au long de la piste vers Tombouctou. Et le modeste cyclotouriste que je suis a beaucoup apprécié cet exploit.

TROIS ROUES POUR TOMBOUCTOU

Ce blidéen semble avoir, depuis toujours entendu l'appel du Sud et du désert. Lorsqu'il se lance en 1986 sur la route de Tombouctou, ce n'est pas un néophyte qui enfourche "sa monture".  Il a déjà goûté du Sud avec un vélo normal 2 roues et pneumatiques standards sur un circuit Alger-Metlili-Chaamba en octobre 1954 et encore en février-mars 1980 un circuit Zinder-Tamanrasset sur vélo spécial 2 roues à pneumatiques prototypes Michelin. (voir la carte en fin de page).

Ces 2 expériences lui permettent de définir le matériel qu'il mettra lui-même au point grâce à sa formation d'ingénieur et à quelques partenaires dont Michelin qui développera des pneus spéciaux pour l'engin.

    

Un système de levage actionné à la main permet de soulever la roue centrale et une manette de décrabottage la désolidarise de la transmission principale (longueur 2,73 m, largeur 71 cm)

"Malgré le potentiel industriel qu'avaient si aimablement mis à ma disposition les chaines Sedis,le temps filait, la saison avançait mais pas le vélo.

Au début,je commençai à travailler dans cet atelier  huit heures par jour, en suivant les horaires du personnel. Mais rapidement, il me fallut allonger mes journée; de huit heures elles passèrent à dix, puis douze, et dix sept heures. Après l'atelier chez moi, il fallait réunir les matériels et étudier leur rangement dans les sacoches.

Un vrai marathon"  

Le résultat tient en un chiffre  : 180 Kg qu'il faudra amener d'Alger à Tombouctou sur 3 roues en empruntant toutes sortes de revêtements routiers ou pas de revêtement du tout quand il aborde  les dunes.

Il ne faut pas oublier non plus que parallèlement à la construction  de son vélo, Jean Naud suit une véritable préparation physique suivi par une équipe de scientifiques qui lui fera aussi subir toute une série de tests de contrôle à son retour.

Encore un point non négligeable, l'intendance car il faut boire et manger et le choix n'est pas toujours évident.

"A mon retour de Tamanrasset, j'avais fait une liste de tout ce que je ramenais avec une balance à côté de moi et classé en deux catégories le contenu de mes sacoches. Sur 12 kilos, le matériel inutile pesait 300 grammes. J'ai appliqué cette même méthode pour ce voyage, au retour j'avais véhiculé inutilement 800 grammes sur les 60 kilogrammes, hors eau, embarqués.

  

Beaucoup de ravitaillement concentré, mais classique, acheté au « Carrefour » le plus proche. Riz, lait condensé, en poudre, sucre, huile d'olive, vinaigre, poivre, sel, de quoi donner un air de fête à une salade de tomates. Les sachets lyophilisés Maggi pour les préparations de riz et les potages ont été appréciés, ainsi que les pruneaux d'Agen qui se sont révélés de fidèles compagnons, fortifiants et toujours frais, prisés particulièrement dans les moments de déprime. Les bananes séchées ont été inefficaces. Le corned-beef, je l'ai réservé aux soirs de galas, neuf boîtes en trois mois, et les fameux produits Wander : vous aurez reconnu à ma « bonne mine » l'Ovomaltine, produit utilisé le matin pour me constituer un potentiel énergétique de base ; Perform 6 en barre a été  une véritable révélation pour moi. Expérimenté dès les premiers cols, il est devenu très rapidement l'aliment de l'effort et des coups durs. Les Chocovomaltine étaient moins énergétiques. Quant à Isostar, je me le réservais pour plus tard."

Et maintenant,il n'y a plus qu'à...... affronter la route, les variations des conditions climatiques et la solitude.

 "L'absence de conversations durant de longs jours de piste incite à sortir de sa coquille dès que l'occasion s'en présente. A l'arrivée dans une oasis, les curieux vous questionnent, souhaitant en savoir plus; d'où vous venez, où vous allez, depuis combien de jours vous voyagez, de quel pays vous arrivez"

Mais il y a aussi des rencontres et particulièrement celle de  Jean Naud avec 2 touristes anglais

"Je me souviendrai toujours de ces jeunes touristes anglais ensablés au kilomètre 79, au nord d'Arlit, dans un passage de dunes très difficile.

Toujours silencieux dans ma progression, j'entends de très loin les efforts du moteur de leur « 404 » ensablée. Je m'arrête quelque 500 mètres avant qu'ils ne m'aperçoivent et, après avoir dégonflé mes pneus à 0,5 bar, enclenché le plus petit développement, 26 x 28, comme un chameau, sans bruit, lentement, je m'approche d'eux et, sans paraître, tour de roue après tour de roue, je les  croise sans ralentir. C'est alors que j'entends un « My God! » retentissant.

Pour ne pas pousser trop la plaisanterie, le mauvais passage de sable franchi, j'arrête ma bicyclette, et me dirige vers eux à pied avec un flegme tout britannique. Tel Livingstone rencontrant Stanley au fleuve Congo, je leur dis :

— You have some problem, I suppose !    

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J'ai choisi 2 larges extraits du livre de Jean Naud, le premier concerne ses retrouvailles avec Blida et il est dédié à tous les blidéens, le deuxième concerne la montée sur Médéa et il est pour  tous les cyclistes qui  sauront apprécier l'exploit.

 

Trois roues pour Tombouctou

Extrait N°1

Le tracé de la route a changé, je me souvenais d'une route nationale, je retrouve une autoroute à quatre voies avec une circulation digne des périphériques le vendredi à 18 heures. Le sentiment de solitude m'est complètement étranger ! ! !

Boufarik. La statue du sergent Blandan n'est plus là, cela se comprend. La traversée de cette ville provoque en moi une émotion que je ne peux contenir. Mes larmes coulent au vent de la bicyclette, j'espère que personne ne les voit, vouloir les essuyer serait encore plus me trahir.

Je retrouve dans la rue principale les mêmes commerces, café, épicerie, pharmacie... rien n'a changé. La route grimpe insensiblement vers Blida, ma ville natale.

Tout a grandi, la ville a rejoint les communes environnantes comme Paris l'a fait avec sa banlieue. J'avais le souvenir d'une ville de 30000 habitants, je retrouve une agglomération de 250000 citadins. Des cités de 1500-2 000 logements remplacent les champs de cultures que je connaissais. Je comprends qu'un souvenir de plus de vingt ans ne colle plus à la réalité.

J'arrive à la villa que nous habitions. Je m'arrête juste devant, faisant mine de rectifier quelque chose sur mon porte-bagages. Elle a gardé son ancienne silhouette avec ses murs blancs et ses volets verts.

Un jeune Algérien d'une dizaine d'années s'approche :

— Bonjour !

— Bonjour.

— Tu veux quelque chose pour ta grosse bicyclette?

— Non... non merci, je regardais cette maison, et du menton je lui indique notre ancienne demeure.

— C'est chez moi, me réplique-t-il.

— ... Ecoute ! je vais te dire, et me penchant vers lui pour capter son attention, je continue : Tu vois cette maison, il y a longtemps, longtemps, j'y habitais, comme toi aujourd'hui.

— Ah... tu veux rentrer?

— Si je peux, oui.

— Attends, je vais appeler ma mère.

Quelques minutes s'écoulent, je regarde autour de moi en attendant.

Je reconnais le citronnier des quatre-saisons, et j'entends dans ma tête la voix de ma mère. Mais ce n'est pas ma mère qui vient maintenant vers moi, une femme d'une cinquantaine d'années, habillée à l'européenne jusqu'à la ceinture, et d'un pantalon bouffant. Son front porte un tatouage ; à son regard, j'ai tout de suite compris que son fils lui avait tout expliqué. Dans un geste compatissant, elle m'encourage à venir visiter.

Je me dirige vers la buanderie, un petit bâtiment à l'écart de la villa, où je retrouve l'odeur des lessives et le

reflet du sol cimenté, et les briques rouges formant le seuil de cette pièce où je poussais mes petites voitures.

Je pénètre un peu plus dans cette buanderie pour arriver à une minuscule deuxième pièce qui était « mon » coin. Oh ! comme je voudrais que soit encore suspendu au mur le planeur en modèle réduit que j'avais mis des heures et des heures à construire... Il n'y est plus.

Quelle déception, le temps a tout balayé. Je marmonne quelques mots que moi-même je ne comprends pas. « Mon... univers », quelque chose comme cela. Pourquoi venir chercher la preuve que le temps vous a oublié ! Je n'ose plus rencontrer le regard de cette femme qui me suit plutôt qu'elle me précède. Nous rentrons maintenant dans la maison. L'intérieur n'a pas changé, sinon que de nouveaux meubles remplacent les nôtres : des banquettes tout autour de la pièce principale pour coucher ses sept enfants, m'explique-t-elle. Tout est d'une grande propreté, les carreaux du sol ont gardé leur éclat.

Revenu à l'entrée, je m'enhardis pour retrouver le regard de cette mère de famille. Elle aussi a les larmes aux yeux, et sans doute pour humaniser cette rencontre inattendue pour nous deux, nous nous jetons dans les bras l'un de l'autre, ce geste silencieux remplaçant toute parole étouffée par l'émotion que nous partageons.

De retour dans le jardin je lui demande quelques citrons en souvenir, son fils en un instant me ramasse les plus mûrs.

Je reprends la selle, le cœur gros, me questionnant : comment faire comprendre le drame qu'a été le départ, en quelques semaines, d'un million de Pieds-Noirs accrochés à cette terre d'Algérie depuis au moins deux générations ?

Certaines déchirures sont difficiles à cicatriser.

 

Extrait N°2

Premier bivouac

Reparti sur ma bicyclette, je pédale au ralenti pour revoir Blida et les lieux qui m'étaient familiers.

Le chemin du lycée passait par la rue d'Alger, la place d'Armes, centre de la ville.

Ce qui me surprend le plus, c'est la largeur des rues. Tout me paraît lilliputien par rapport à mon souvenir d'enfant.

Je ralentis encore pour avoir le temps de regarder à droite et à gauche. Les belles villas des boulevards, fierté de la « Ville des Rosés », chacune entourée d'un jardin d'agrément arrosé à la saison chaude pour protéger les fleurs de la sécheresse, sont maintenant reliées les unes aux autres par des murs de parpaings, ni crépis ni peints, pour augmenter le nombre de logements. La ville semble un immense chantier. Les arbres, eux, ont prospéré, les platanes, les acacias, les frênes sont plus larges et plus hauts.

Je reconnais, sans mal, les différentes rues. Tiens, le cinéma est toujours là, le lycée n'a pas changé ! Et lentement je me dirige vers la route de Médéa.

La population s'arrête d'étonnement en me voyant passer, je réponds par des sourires et chacun me manifeste sa sympathie — sourires, applaudissements, gestes de bienvenue.

Je continue lentement ma visite, j'arrive déjà à la sortie de la ville. Les maisons s'estompent progressivement, je retrouve les champs et les orangeraies, adieu Blida !

A six kilomètres de là, j'arrive à ce carrefour que tant de fois, dans mes préparatifs, j'ai imaginé : « Jean, quand tu tourneras à gauche à La Chiffa, tu prendras la direction du Sud jusqu'à Tombouctou au Mali. » II ne te restera plus pour arriver que... 3100 kilomètres toujours plein sud.

Aujourd'hui, j'y suis, je tourne à gauche, il est midi, le soleil est en face de moi.

« Tu y es, mon garçon. »

La route bordée de superbes platanes me permet d'apprécier à l'ombre les derniers kilomètres de plat. Après, les orangeraies cesseront et j'attaquerai les premiers contreforts de l'Atlas tellien, cette chaîne de montagnes est-ouest parallèle à la côte, dont les sommets culminent à 1630 mètres. Heureusement, la route emprunte les gorges de l'oued Chiffa, à beaucoup plus faible altitude.

Même ces gorges ont été transformées, des tunnels permettent une circulation dans les deux sens en permanence.

Pour mon premier bivouac, je veux être prudent, il faut sortir le plus possible de cette vallée pour pouvoir m'écarter de la route. Je m'arrête plusieurs fois, sans trouver le coin discret souhaité. L'heure tourne. Une seule solution : aller jusqu'au carrefour de Tamesguida ex-Mouzaïa-les-Mines, bled perdu dans le djebel où ma grand-mère maternelle, à la fin du siècle passé, toute fraîche jeune fille venant de Perpignan, a commencé sa carrière d'institutrice auprès de la population algérienne. La route doit être très peu fréquentée, je pense, et jepourrai m'éloigner du bruit incessant de la route nationale.

Arrivé au carrefour, je tourne à droite, la pente est très escarpée, il me faut mettre le plus petit développement pour arriver à franchir cette côte irrégulière d'au moins 12 %. C'est la première fois que j'applique autant de force sur mes pédales, rien ne bronche, je suis rassuré sur les choix techniques faits lors de la construction du cadre.

Très lentement, mais dans le silence le plus complet, je passe un virage qui me met à l'abri des regards du village accroché sur l'autre pan de la vallée. Mais les terrains plats ne sont pas légion, plusieurs hésitations et la nuit commence à tomber, je dois me décider maintenant.

Un petit terrain sur la gauche semble en retrait. J'y vais à pied pour juger. Horreur ! la terre a été labourée fraîchement par... des sangliers.

Tant pis, je n'ai plus le choix, tel sera mon premier bivouac !

Le vélo hissé dans le champ avec bien des difficultés — qu'il est encombrant et lourd à déplacer à la main ! —, je commence à installer mon matériel dans la lumière de la pleine lune. Un cri de chacal retentit dans la forêt de chênes-lièges, juste au-dessus de moi.

« II ne faut surtout rien laisser traîner ce soir. »

J'essaie de me persuader que le cri est plus impressionnant que l'animal est dangereux. Je l'ai souvent entendu, dans ma jeunesse, lorsque nous allions, mon père et moi, à l'affût des lièvres par des nuits de pleine lune. Assis l'un à côté de l'autre, sur une grosse racine, les vêtements sombres et sans geste brusque, nous guettions tous deux leur apparition.

Mais ce soir, le sommeil vient vite tant je suis fourbu par ces premiers kilomètres de montée avec une bicyclette beaucoup trop lourde.

Le lendemain matin, à la lumière du jour, tout me paraît quand même plus rassurant, et les sangliers ne sont pas venus cette nuit — bonne idée.

Aujourd'hui, le programme est chargé : la côte de Médéa, 11 kilomètres avec un col à 1300 mètres d'altitude. Pour l'instant, je ne suis qu'à 200 mètres.

Bivouac levé, petit déjeuner chaud absorbé, je me retrouve sur la route principale, la nationale 1 qui dessert tout le Sud, c'est dire l'importance du trafic qui y règne. Une vraie nationale 7 pour Français partant en vacances dans le Midi.

5-6 kilomètres de plat pour se réchauffer et le début de la côte est là — celui des souffrances aussi.

Au bout d'un kilomètre de montée, pas mal de braquets sont déjà changés sur les quinze dont je dispose. Comme tout bon cycliste, je m'arrête pour m'alimenter par anticipation et éviter le coup de fringale qui paralyse les jambes.

Je redémarre en côte après avoir longuement attendu une accalmie de la circulation. Enfiler sa deuxième pédale lorsque le braquet est court n'est vraiment pas chose facile sans zigzag sur la route. La fourche avant embarque soit à droite, soit à gauche. Heureusement mon large guidon permet de redresser ma trajectoire.

Le rythme cardiaque augmente, je cherche à gonfler le plus possible mes poumons pour régénérer mon sang.

Un camion me dépasse, envoyant juste à ma hauteur son échappement noir de moteur en plein effort, lui aussi ; obligation d'arrêter un instant ma respiration pour éviter d'absorber tous ces hydrocarbures en suspension.

Cet arrêt casse ma cadence respiratoire. J'atteins l'essoufflement, je ne peux pas continuer, mes battements de cœur augmentent trop dangereusement, 140-150, mesurés avec ma montre : c'est trop, le toubib avant mon départ m'a demandé de ne pas dépasser 120-130 en effort permanent.

Je sais que je ne suis pas au bout de mes peines, j'ai tout juste parcouru le quart de la côte.

Nouvel arrêt, pied à terre pour reprendre souffle pendant quelques minutes.

Redémarrage, crispation pour enfiler la deuxième pédale, échec. Je repars à nouveau. A chaque démarrage, un effort supplémentaire est demandé.

Je m'aperçois bien vite que ma forme physique n'est pas grande.

Evidemment, durant la construction de la bicyclette dans les ateliers Sedis, lorsque j'arrêtais à 19 heures, j'avais le temps de tourner sur mon home-trainer une heure chaque soir, mais les derniers temps, quand j'arrivais à minuit, je n'en avais vraiment plus le courage.

Je paie douloureusement aujourd'hui ce manque d'entraînement. En fait, je ne me trouverai à l'aise sur mes pédales que 1000 kilomètres plus bas, juste avant In-Salah, à la fin du goudron.

Une ancienne vue de la montée sur Médéa

La route d'aujourd'hui a été remaniée entièrement avec un tracé plus moderne, plus droit, mais sa pente est bien plus forte. Chaque virage est une difficulté supplémentaire.

Les conducteurs de camion, pour manifester leur encouragement, me lâchent dans les oreilles, à bout portant, de grands coups d'avertisseur sonores étourdissants. Dans certains cas, il vaut mieux ne pas enregistrer sur le vif son état d'âme, sous peine de saturer la bande magnétique !

Pour en sortir, je ne vois qu'une seule solution : abandonner cette route et prendre l'ancien tracé, plus long mais moins pentu. J'y serai dans trois kilomètres. Une éternité ! Un arrêt tous les cinq cents mètres : si je n'appuie plus sur les pédales, il me faut vite mettre les deux pieds à terre pour m'arc-bouter et empêcher le vélo de repartir en arrière. '

A force d'acharnement, j'arrive enfin à cet embranchement. Je m'éloigne de cette circulation affolante et dispose, enfin, d'un peu plus d'oxygène.

Nous empruntions en voiture, mes parents et mes deux frères, cette route pour rejoindre la ferme familiale. La vue est splendide. Tournant le dos à ceux à venir, je découvre les lacets de la route que je viens de gravir. Temps magnifique, l'atmosphère est pure et fraîche, le ciel bleu est ponctué de nuages tout blancs : un vrai temps printanier. Dans les champs, des tracteurs labourent et retournent une belle terre rouge sombre et luisante. Des Algériens replantent de la vigne à raisins de table, là où la vigne à vin avait été plantée par les Pieds-Noirs quelques décennies plus tôt.

Je reprends les pédales, l'effort reste important et les kilomètres s'additionnent au goutte à goutte. Cette ancienne route m'a allongé le parcours et je regarde d'un œil mauvais les bornes kilométriques. Voilà le dernier grand virage. Maintenant la route se dirige vers Médéa, encore 4 kilomètres. Il est déjà 4 heures de l'après-midi, je suis parti ce matin à 8 heures. 14 kilomètres parcourus en huit heures, quelle misère !

Je suis obnubilé par cette montée. Pour me raisonner et prendre mon mal en patience, je me dis que c'est la plus longue côte de tout mon périple. Le fâcheux est qu'elle soit dans les premières étapes.

Enfin, j'atteins les premières maisons de Médéa, les enfants arrêtent net leurs jeux, surpris par mon arrivée silencieuse. Des cris d'étonnement, de joie. Certains

courent à côté de moi, me stimulent, m'encouragent. Ensuite, ils retournent à leurs jeux, tout en commentant ce qu'ils viennent de voir : « Une moto qui n'a pas de moteur ! »

J'aperçois, à la sortie d'un virage, Une mosquée construite en contrebas, son minaret venant juste à la hauteur de la route. Je m'en approche. Toute blanche, elle vient à peine d'être achevée. Juste au moment où j'arrive à sa hauteur, le muezzin fait son appel à la prière, à l'aide de haut-parleurs fixés au minaret. Je ne peux m'empêcher de penser :

« Jean, sois rassuré, Allah aussi est avec toi. »

En effet, quelque 100 mètres plus loin, c'est le col de Médéa à 1300 mètres d'altitude. C'est la fin de mon premier calvaire. Je ne sais pas encore qu'il y en aura beaucoup d'autres.

Il est juste 17 heures.

Je m'arrête, place le vélo sur sa béquille, et retourne à pied, jouir une dernière fois de la vue sur les montagnes éclairées au soleil couchant.

Une première page est tournée, je viens de traverser la partie de l'Algérie la plus arrosée. La montagne sur laquelle je suis est une véritable barrière pour les nuages. En effet, en me retournant vers le Sud, j'aperçois un ciel beaucoup plus pur. Je viens de franchir une première frontière vers la sécheresse.

 

ARRIVEE à TOMBOUCTOU

 

Carte