Souvenirs du vieux Blida

N'oubliez pas de lire aussi Le théâtre à Blida: toute une histoire où il est question des premières salles de spectacle comme La Farfouilleuse à la Porte El Rabah ou le  Tapis vert aux Amis Réunis: l'auteur de l'article ci-dessous n'ayant pas eu accès à d'autres archives.

Ecrit en 1948 il ne parle pas non plus du Capitole inauguré en 1949.

 

LES THEATRES

 

Depuis longtemps déjà, le “Tapis Vert", ce théâtre qui avait connu la faveur du public à la fin de l'Empire ou pendant les premières années de la République, avait fermé définitivement ses portes. Située près du local des Amis Réunis, cette salle qu'avaient si souvent égayée les flonflons d'Offenbach et les valses de Strauss, était désormais utilisée pour des usages plus prosaïques, notamment comme atelier d'emballage des oranges.

 

 

Blida n'avait plus de théâtre et cependant, la ville en possédait deux. Mais l'un était désaffecté et le second n'avait jamais été terminé. Le premier, situé sur la place d'Armes, n'était autre que notre Théâtre municipal actuel. A part sa situation au centre de la ville, on ne lui reconnaissait aucune qualité, mais on lui attribuait tous les défauts. On lui reprochait son exiguïté, son défaut de confortable, son manque de dégagements, son peu de commodités, son aération insuffisante. On répétait que c'était "une véritable rôtissoire". Bref, ce bâtiment répondait si peu aux conditions que l'on doit exiger d'une salle de spectacles, qu'on le désaffecta. La commune le donna en location à des particuliers qui en firent... un entrepôt de grains.

 

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La place de l'Orangerie était à cette époque une grande place, entourée d'une double rangée de beaux platanes. Au milieu s’élevait une construction importante, dont les murs n'étaient pas crépis et qui visiblement était restée inachevée. C'était le Théâtre, un théâtre qui semblait avoir été conçu pour faire l'ornement d'une petite ville coquette. On racontait (était-ce bien vrai ?) qu'on avait constaté dans la construction des malfaçons graves qui faisaient craindre pour la solidité de l'édifice,  A la première représentation, les trombones et les pistons de l'orchestre devaient renouveler le miracle de la prise de Jéricho. Ces craintes étaient-elles réellement fondées ? Toujours est-il que les travaux avaient été interrompus. L'entrepreneur, disait-on, complètement ruiné, avait fait faillite et s'était suicidé. Le bâtiment inachevé était utilisé comme salle de répétitions pour la musique des pompiers et comme remise pour le matériel des fêtes, bigues, barrières, etc... Puis, la population augmentant et le nombre des enfants d'âge scolaire nécessitant des locaux dont la ville ne disposait pas, on sacrifia ce théâtre mort-né.(1) Malheureusement, on fut obligé de sacrifier en même temps la belle place sur laquelle il s'élevait. On y édifia le groupe scolaire dans lequel sont installées, depuis lors, l'école maternelle et l'école des filles qui fut longtemps, pour les Blidéens, l'école de Mlle Ducoin, et qui porte aujourd'hui officiellement le nom de Ducoin-Cormary. Blida n'avait donc pas de théâtre. A cette époque, l'importance de la population et la situation financière de la commune ne permettaient pas d'avoir une troupe sédentaire spéciale. D'autre part, il n'existait pas de grandes tournées comme celles qui parcourent aujourd'hui la Province et l'Afrique du Nord. Les grandes villes seules pouvaient s'offrir le luxe de faire venir, de loin en loin, en représentation, des artistes en renom de la Métropole. Blida n'avait pas une importance suffisante pour attirer ces vedettes. La nécessité d'un Théâtre municipal ne se faisait donc pas sentir trop vivement. Blida ne manquait d'ailleurs pas complètement de représentations théâtrales. Il s'était formé un groupement de jeunes gens qui, sous le titre "Société des Amateurs Blidéens", jouaient la comédie et l'opérette. Cette société s'était installée tout d'abord dans un local de la rue de la Plaine (rue Chanzy actuelle), aujourd'hui occupé par l'atelier d'ébénisterie Salvano. Un peu plus tard, un commerçant de la ville fit construire pour elle, avenue de la Gare, un autre local qu'on appela "Le Prado". Sous le nom de "Société des Beaux-Arts", un autre groupement similaire se fonda quelques années plus tard et aménagea une seconde salle de spectacles, également avenue de la Gare, presque en face du Prado, dans un immeuble Bonnery où est actuellement installée la "Brasserie Tabarin". "Amateurs Blidéens" et "Beaux-Arts", pleins d'une belle émulation, rivalisaient d'efforts pour donner à leurs concitoyens de bonnes représentations et leur interprétation du répertoire alors en honneur ne le cédait en rien à celle des théâtres les plus réputés. La Société des Amateurs Blidéens disparut la première. Les Beaux-Arts persistèrent plus longtemps. La Société eut la bonne inspiration et la bonne fortune de s'attacher un vieux ménage d'artistes qui remplirent les fonctions de professeurs d'art théâtral, de régisseur et de metteur en scène. A l'occasion, ces deux anciens reprenaient l'emploi de leur jeunesse et leur présence sur le plateau donnait aux amateurs l'entrain des artistes professionnels.

 

En 1897 ou 1898, la Municipalité fut d'avis que l'absence de Théâtre municipal constituait une lacune qu'il fallait combler. On décida de remettre en état l’ancien théâtre de la place d'Armes et de le transformer. La chose n’alla pas toute seule. Il y eut, au Conseil municipal, des débats passionnés : Les adversaires du projet faisaient valoir tous les inconvénients qui ont été signalés plus haut et insistaient notamment sur les risques d'incendie. Dans le feu de la discussion, un orateur, partisan des travaux proposés, déclara : « Un théâtre qui se respecte brûle tous les dix ans. Si le nôtre brûlait, ce serait une excellente chose pour la commune, car elle permettrait d'en construire un neuf avec l'indemnité d'assurance ». Ces paroles ne figurent probablement pas au procès-verbal de la séance, mais elles ont été prononcées à haute et intelligible voix.

 

 

Le Maire l'emporta et le projet fut adopté. L'entrepôt de grains fut transformé de telle façon qu'il devint une petite salle coquette, ce qu'il est convenu d'appeler "une petite bonbonnière". Pour s'assurer l'aération de la salle et lui donner un peu de fraîcheur, on fit un plafond à jour, communiquant avec un lanterneau construit sur la terrasse. Pour parer au danger d'un sinistre, on créa des dégagements à travers la maison voisine et l'on organisa un secours d'incendie si complet que les mauvaises langues purent dire : « Si le leu prenait au théâtre, pas un spectateur ne se sauverait ; aucun ne serait brûlé, mais tous seraient noyés ». Par la suite, ce grand secours fut complété par un toboggan, sorte de glissières partant du foyer, pour aboutir sous les arcades, par des échelles partant du balcon et par une manche humaine, gros tuyau de toile que l'on fixe au parapet de la terrasse et par laquelle les spectateurs, fuyant l'incendie, peuvent s'engager les pieds en avant pour se laisser couler mollement jusque sur la place. Tout ce dispositif fut essayé un jour, au cours d'une manœuvre d'incendie exécutée par les Tirailleurs. On peut imaginer la joie des yaouleds de la place qui grimpaient à toutes jambes les escaliers pour se laisser glisser par le toboggan ou par la manche. Le Théâtre de la Place d'Armes ainsi rénové a connu de fort bonnes saisons, notamment sous la direction de notre concitoyen Ferrari, qui se révéla un beau jour imprésario de premier ordre. Si les représentations dramatiques et lyriques reviennent à la mode, quand la situation financière de la commune sera assez florissante pour lui permettre des dépenses somptuaires ; quand les bâtiments militaires seront transférés hors de la ville, comme cela avait été décidé ; quand beaucoup de conditions se trouveront réunies, on réalisera peut- être le projet abandonné d'une très ancienne municipalité, en construisant un théâtre moderne, vaste, bien aménagé et bien dégagé. Mais tout cela ce n'est pas de l'ancien Blida, c'est du Blida futur. —

CAID-CHEMA

(1) Ce bâtiment servit même de prison un certain temps et compta jusqu'à 400 prisonniers, ce qui ne fut pas du goût des habitants du quartier