À TRAVERS L’ALGÉRIE
SOUVENIR DE L’EXCURSION PARLEMENTAIRE
(SEPTEMBRE-OCTOBRE 1879)
PAR
PAUL BOURDE
La députation a trouvé à Blidah une ville contente de son sort et qui n’avait rien à lui demander, ou à peu près rien. Le discours du maire a été une petite apologie du pays qu’il administre. En aucun .endroit, en effet, je n’ai vu de dehors plus riants, plus d'indices de prospérité que dans cette gracieuse ville de 16,000 âmes située aux pieds de coteaux couverts de vignes et mollement assise au milieu des orangers. Cinquante mille de ces arbres lui font une ceinture perpétuellement verdoyante et parfumée que les fruits mûrs piquent, à partir du mois de décembre, d’innombrables taches d’or. Je dis arbres, quand je ferais peut-être mieux de dire arbustes, car l’oranger n'atteint point de hautes proportions, même dans son pays de prédilection. La moyenne des exportations annuelles de Blidah est de dix millions d’oranges et de mandarines : les prétendues valences des marchandes de Paris viennent souvent tout bonnement d'Afrique et n’en sont pas moins bonnes pour cela. Une trop courte promenade aux environs de la ville a ravi la députation ; les orangeries sont, à proprement parler, des jardins, et vous voyez ce que peut être un jardin de 300 hectares. Le terrible vent du sud leur avait nui quand nous les vîmes. Mon cocher me dit : — Médiocre année, monsieur, le sirocco a mangé les oranges. Les pieds d’orangers sont alignés au cordeau, les eaux qui les arrosent courent de tous côtés dans de petits canaux de briques à ciel ouvert ; il y a partout des fleurs ; d’épais tapis de volubilis bleus sont jetés sur les haies et pendent des plus grands arbres c’est la féerie de l'agriculture heureuse. De jolies villas sont bâties aux abords des cultures. J’ai noté là d’intéressants essais d'architecture locale, un compromis avec le style mauresque, sa polychromie et ses faïences. C’est un des regrets du voyageur de voir que nous introduisons bêtement partout en Algérie la manière de bâtir de nos pays du nord. Tout ce que nous y faisons ressemble invariablement à des casernes. Certes, les constructions arabes, faites pour des gens sans mobilier et qui tiennent à cacher leur intérieur à tous les yeux, ne conviennent pas à notre civilisation; mais les nôtres ne conviennent pas davantage au climat algérien. Où est le grand artiste qui donnera la formule nouvelle? On l’a cherchée à Blidah, et la tentative me parait assez heureuse pour qu’on la renouvelle. La ville entretient, sous le nom de Bois Sacré, un jardin public d’une grande beauté. Les oliviers séculaires y font les plus charmants ombrages qu’on puisse voir. Les Blidiens en sont fiers et répandent le bruit qu’ils sont les plus gros de l’Afrique; mais nous en avons vu de plus gros encore à Bougie et à Tlemcen. Un blanc marabout dédié à Sidi-Yacoub, le saint propice à la fécondité des femmes qu’on retrouve par toute l’Algérie, donne au jardin je ne sais quel air de mystère qui ajoute à son charme et explique son épithète de sacré. Nous y vîmes plusieurs femmes musulmanes que la stérilité ne devait pas amener à ce pèlerinage, car elles étaient accompagnées de nombreux enfants. A l’ouest d’Alger, les femmes ne se cachent plus le visage de la même façon qu’à l’est ; ici, au lieu d’un voile posé au dessous des yeux, elles se contentent, quand un homme approche, de serrer avec la main sur leur visage les deux pans de la longue pièce d’étoffe blanche dont telles se couvrent la tête ; on n’aperçoit plus alors qu’un oeil qui brille comme une escarboucle au fond de l’étroite fente qu'elles laissent entr’ouverte, et elles font songer à des enfants jouant à « coucou, le voilà! », Nous ne pouvions nous empêcher de sourire à les voir ainsi arrangées, et, comme ce sont des êtres faciles à amuser, souvent elles riaient de bon cœur de notre propre gaieté. A quelques kilomètres de Blidah, la Chiffa s’ouvre un passage à travers la chaîne de montagnes qui borde la plaine de la Metidja. C’est un lieu de promenade célèbre que ne manque jamais de faire le visiteur qui vient à Alger. La caravane y passa en allant à Médéah. C’est, m’a-t-on dit, une gorge qui rappelle en petit le Chabet-et-Akhra et qui est plus agréable parce que la végétation y est beaucoup plus vigoureuse. Les singes de la Chiffa font partie des curiosités de l’Algérie; on raconte qu’ils sont à demi apprivoisés et viennent manger le pain qu’on leur jette; cependant ils furent moins aimables que ceux du Chabet et ne se dérangèrent pas pour se montrer aux députés. Une autre curiosité est le tombeau de la Chrétienne, dont on voit le cône se profiler comme un énorme clocher dans le lointain, sur les collines qui séparent la Metidja de la mer; c’est la sépulture de quelques anciens rois maures. La caravane se remit en route par un train qui avait amené le gouverneur général. M. Albert Grévy n’avait pas encore visité la province d’Oran, et profitait de l’occasion pour faire avec les députés un voyage vivement désiré par la population. A partir d’El-Affroun la voie entre dans une région montagneuse. On retombe dans l’inculte. Les hauts mamelons sont couverts d'un manteau de maigres broussailles que des landes désertes criblent de trous. Après Bou-Medfa on pourrait se croire revenu aux environs de Constantine, tant les pentes sont nues. Il a fallu trois tunnels pour franchir le massif; le dernier débouche sur le bassin du Chelif où pour un moment la nature redevient riante. Passer de Blidah à Milianah, c’est passer de l’Andalousie dans la Touraine. Milianah est perché à mi-côte du Zaccar, et, pour l’atteindre de la gare d’Affreville qui la dessert, il faut gravir une pente de six cents mètres. On devine quels circuits il a fallu faire décrire à la route pour la rendre praticable avec une telle inclinaison. Par un hasard curieux, ces circuits, vus de la terrasse de la ville, dessinent exactement la figure d’un chapeau de gendarme. Comme Blidah, Milianah est au milieu d’un immense verger; la terre manquant pour la grande culture, tout le pied du Zaccar a été converti en jardins; mais le climat, grâce à l’altitude, se rapproche de celui de la France; il neige abondamment l’hiver, et nos fruits, qui viennent généralement assez mal en Algérie, y réussissent à merveille. On y récolte des raisins exquis, des coings, des cerises, des noix, des noisettes, des châtaignes, des pommes et des poires qui sont excellentes. Le seul fruit algérien qui y prospère est la grenade, qui y est énorme ; c’était justement l’époque de la maturité, et nous avons pu voir les minces rameaux des grenadiers plier jusqu’à terre sous le poids de fruits gros comme les deux poings. Extrait de "Excursion de parlementaires en Algérie 1880" Texte mis en libre chargement sur http://www.algerie-ancienne.com:80/livres/Documents/docum2.htm
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